Le mieux serait de lire l’ouvrage de Rancière cité dans le message. Faute de mieux, je renvoie au commentaire en ligne du même Rancière, sachant qu’à la suite d’une corruption son texte est présenté sans aucun paragraphe : c’est plutôt indigeste…Dans ce qui va suivre, j’ai volontairement laissé de coté l’aspect politique.
Par ailleurs, vouloir « expliquer » le texte de Rancière, c’est entrer dans la contradiction en prétendant « expliquer » qu’on ne doit jamais expliquer (car telle est la thèse de Jacquotot).
- Voici quatre thèses de son texte :
1 « C’est un maître qui enseigne - c’est-à-dire qui est pour un autre cause de savoir - sans transmettre aucun savoir »
2 « la " transmission du savoir " comprend en fait deux rapports intriqués et qu’il convient de dissocier : un rapport de volonté à volonté et un rapport d’intelligence à intelligence »
3 « le maître ignorant n’exerce aucun rapport d’intelligence à intelligence . Il est seulement une autorité , seulement une volonté qui commande à l’ignorant de faire le chemin , c’est-à-dire de mettre en oeuvre la capacité qu’il possède déjà, la capacité que tout homme a démontrée en réussissant sans maître le plus difficile des apprentissages : celui de cette langue étrangère qu’est pour tout enfant venant au monde la langue dite maternelle ».
4 - « Postulat de l’égalité des intelligences : le maître et l’élève sont à égalité dès lors que l’un veut être compris de l’autre. Le reste est affaire d’autorité : il faut contraindre l’élève à faire l’effort de chercher à comprendre. »
- Voici deux témoignages :
1 - celui d’une prof d’anglais qui enseigne à des élèves débutants de 6ème :
Mon rôle consiste énormément à encourager mes élèves ou plutôt à faire en sorte qu'ils gardent confiance en eux malgré leurs erreurs répétées (et c'est pas si simple!). Quand cette partie là est gagnée alors la motivation vient tout naturellement et ne demande pas tant d'efforts que ça. Mon rôle consiste aussi à contrôler leurs acquis (c'est indispensable pour préparer les cours). Mais je suis pour mes élèves et surtout en 6ème leur principale source de vocabulaire et de structures grammaticales. J'essaie de laisser le plus possible la parole à mes élèves mais c'est après avoir injecté les outils nécessaires à la réalisation de la tâche que je veux obtenir d'eux. Donc, maître-ignorant me paraît un peu extrême. Ce que je pourrais ignorer et qui n'entraverait peut-être pas vraiment l'apprentissage de la langue pour mes élèves ce sont les termes grammaticaux et autres découpages linguistiques. En fait ma classe est comme un bain dans la langue et la culture anglophone et mon enseignement calqué sur l'apprentissage de la langue maternelle. Je suis donc d'accord pour dire qu'il n'y a pas de méthode. Chacun intègre à sa vitesse et à sa façon. Il est donc primordial d'accepter l'erreur. La seule méthode que j'applique est dans le choix des supports et des thèmes enseignés. A travers ce choix j'amène les élèves à découvrir, utiliser puis intégrer un champ lexical particulier et des structures ciblées (le tout reste quand même très varié bien sûr). Je mets en fait en place au contexte pour que les élèves accèdent au sens et mémorisent plus facilement.
2 - celui du prof de philo que j’ai été jusqu’à la rentrée dernière :
D’abord, les élèves qui ne comprennent pas ce qu’on leur explique ont en fait compris quelque chose qui fait justement obstacle à ce que je cherche à leur passer. Ça ne sert à rien de leur expliquer, tant qu’on n’a pas compris soi-même à quoi ils pensent. Il faut débusquer cette pré-compréhension spontanée qui doit être comparée à ce que reçoit l’élève et modifiée en fonction de ça.
Exemple : mon élève ne comprend pas des exemples de jugements logiques (du genre le cheval est blanc). Elle me dit : « Mais les jugements, c’est quand on a fait quelque chose de défendu par la loi. » C’est là que le maître ignorant intervient (ignorant : entendez qu’il n’a pas besoin d’expliquer mais seulement de présenter): «Ecoute, les mots ont plusieurs sens, tu dois admettre que le mot jugement désigne aussi une certaine manière de formuler sa pensée. »
Autre exemple - Je reçois un sujet de bac blanc : le commentaire de texte est balisé par de nombreuses marques fluo : roses, vertes, bleues. Mes élèves étaient comme ça : à la première lecture, avant d’avoir compris quoique ce soit au texte - pire : pour le comprendre - on recherche les mots charnières, balises, tout ce que vous voudrez, « Comme, Mais, Car, Toutefois…. » Comme s’ils avaient un sens en eux-mêmes, comme si le texte était un train fait de wagons accrochés les uns aux autres. Le pire, c’est que certains de mes collègues (attention, je balance : c’étaient des profs de français, pas de philo !) leur avait appris qu’il fallait le faire. Le prof de philo, c’est quelqu’un qui va dire : « Faites une hypothèse sur le sens du texte, et puis soumettez cette hypothèse à la lecture : s’il y a des passages obscurs ou incompréhensibles, c’est sans doute le signe qu’il faut modifier votre hypothèse. »
Ce prof est le maître-ignorant de Jacquotot parce qu’il est là, à coté de l’élève à lui dire : « C’est ton travail, personne ne peut penser à ta place. Qu’est-ce que tu veux dire, là ? formule ta pensée autrement. Moi j’ai compris ça : est-ce bien ce que tu veux dire ? » Je ne crois pas qu’il y ait d’autres exercice qui veillent pour apprendre à philosopher.
1 comment:
Merci pour ces explications très intéressantes.
Si j'avais eu un prof de philo comme vous, j'aurai peut être eu de meilleures notes dans cette matière tout au long de l'année et une meilleure note au bac. Cela me faisait de la peine de voir que j'avais des résultats médiocres alors que j'aimais beaucoup cette matière. D'ailleurs je me passionne toujours autant pour elle (mon prof n'a pas réussi à me dégouter :)) Je regrette de ne pas avoir assez de temps pour me "plonger" dans certaines lectures.
Je pense que je ne manquais pas d'idées mais j'avais du mal à les présenter correctement. Mais je dirais comme Rimbaud "Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit."
Bon week end à tous.
Post a Comment