La liberté et la fraternité sont des mots, tandis que l'égalité est une chose.
Henri Barbusse
Voilà ce que nous oublions facilement : l’égalité existe dans la nature, elle est contrôlable, visible. L’animal lui-même la perçoit, si on en croit l’anecdote de l’âne de Buridan (1). Et pourtant nous faisons de l’égalité une chimère bonne pour les utopistes.
Que savons-nous de l’égalité ? Comment cette idée vient-elle à notre esprit ? Est-ce l’enfant qui réclame la même chose que son petit voisin (« Moi aussi, moi aussi !! J’y ai droit ! ») ? Est-ce l’indifférenciation des individus dont l’identité garantit l’égalité (comme à l’armée où le soldat qui tombe est remplacé par le soldat de réserve) ?
Une réponse pourrait être trouvée chez Hobbes : on sait que pour lui, dans l’état de nature, chaque homme est en lutte avec tous les autres pour s’approprier les moyens de sa subsistance. Ce conflit généralisé vient justement de l’égalité naturelle des hommes : chacun se sentant d’égale force peut espérer l’emporter dans son combat contre un adversaire qu’il estime ne pas être plus fort que lui, et cela tant que l’ordre civil (= pouvoir politique autoritaire) ne sera pas instauré pour imposer la paix. Autrement dit, c’est l’inégalité de condition (issue du pouvoir civil) qui est artificielle, et c’est elle qui impose la paix civile. Seule une forte hiérarchie sociale peut empêcher la discorde de l’anarchie
Seulement voilà : les choses se compliquent avec nos sociétés modernes. Une comparaison avec les poules nous aidera à le comprendre : le « pecking order » ou « hiérarchie du coup de bec » (2) désigne le fait que dans un poulailler, chaque poule sait de qui elle peut recevoir un coup et à qui elle peut sans risque de représailles en donner un : c’est une hiérarchie acceptée, gage de paix et de tranquillité. Tout va bien… tant que le poulailler ne compte pas trop d’individus (une cinquantaine). Mais dès que ce chiffre est dépassé, les poules, dont la cervelle est un peu limitée comme chacun sait, ne peuvent plus conserver en mémoire la hiérarchie de ces trop nombreux individus : les coups de becs pleuvent à tort et à travers (3), causant la mort de nombreuses volailles.
Chez nous, ce n’est pas tant l’effectif de la population que la disparition des marqueurs sociaux (= inégalité de condition) qui initie ce phénomène : il s’appelle « anomie » (cf. Citation du 22 juillet 2006).
(1) A lire pour ceux qui l’ignorent - en vue de la future interro de culture G : Buridan (XIVème siècle, disciple de Guillaume d’Occam) affirmait que si son âne avait également soif et faim, il mourrait de soif et de faim s’il était placé à égale distance d’une seau d’avoine et d’un seau d’eau.
(2) Sur le pecking order, voir
(3) Pour ceux que l’élevage des poules ne laisse pas indifférent rappelons que l’an dernier avec le confinement des volailles du fait de la grippe aviaire, ce phénomène avait été signalé comme cause de surmortalité dans les poulaillers.
Ce phénomène existe aussi dans les meutes de chiens avec le simulacre d’acte sexuel : le male qui est le plus faible est désigné du nom de « male du dessous ». Ravissant n’est-ce pas ?
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