Monday, March 19, 2007

Citation du 20 mars2007

A voir ce que l'école exige aujourd'hui de nos fils, je me demande combien de pères seraient capables d'être des enfants.
Paul Morand - Eloge du repos
Paul Morand a tort : au rythme où vont les réformes de l’école, les pères vont bientôt retrouver avec leurs enfants les méthodes et les programmes scolaires…de leurs grand mères. A quand les tabliers noirs, l’encre violette, et les coups de règles sur de pauvres mains gercées ?
Mais en attendant, la remarque de Paul Morand a été une vérité : au XIXème siècle, les ouvriers dont les enfants allaient déjà à l’école étaient incapables de suivre les progrès de leurs enfants : ils ne savaient pas lire.
Cette situation a fait l’objet d’une entreprise tout à fait exceptionnelle : il s’agit de celle de Joseph Jacquotot, dont Jacques Rancière retrace l’œuvre dans Le maître ignorant (1). Selon lui, les pères illettrés peuvent parfaitement aider leurs enfants à apprendre à lire, et même plus. Je me refuse à résumer cette œuvre, Rancière le fait d’ailleurs lui-même, et fort bien (lire ici). Sans passer par le déploiement d’une méthode, ce que je retiendrai, c’est l’exemple donné par Rancière d’un apprentissage sans maître : en effet, c’est ainsi que nous avons appris notre langue maternelle.
Comment se fait-il que les difficultés d’apprentissages de la lecture soient ciblées sociologiquement, si ce n’est que l’enfant apprend chez lui et non à l’école ? Réciproquement, pourquoi aucune méthode pédagogique ne permet-elle de surmonter ces difficultés de façon statistiquement valable (voir les statistiques sur la maîtrise de la lecture à l’entrée en 6ème)? La réponse de Jacquotot est simple : parce qu’il n’y a pas de méthode. Pas plus qu’il n’y a une « méthode » pour apprendre le vélo, il n’y en a pour comprendre. Le rôle du maître est de « faire faire », ou mieux encore, de faire-avec. C’est l’autodidacte qui a raison : simplement il doit être encouragé dans son effort, contrôlé dans ses résultats (là encore, il faut lire Jacquotot pour saisir sa démarche).
En tout état de cause, la citation de Paul Morand pointe quelque chose de central : l’école est le lieu de l’inégalité, et d’abord de l’inégalité maître-élève. Pour Jacquotot, cette présupposition d’inégalité a un effet : l’abrutissement. Que le maître soit ignorant (que le père illettré enseigne la lecture à son fils), et voilà l’inégalité première effacée. Rancière montre comment c’est possible avec Jacquotot, et si le cœur vous en dit, lisez son texte pour vous en convaincre (2).
Ni Dieu, ni maître…sauf si c’est un maître ignorant.
(1) Jacques Rancière - Le maître ignorant : Cinq leçons sur l'émancipation intellectuelle (10/18)
(2) J’avoue qu’il y a tant à dire sur ce sujet que je me sens à l’étroit dans la formule de ce blog. J’y reviendrai éventuellement, s’il y a de la demande…

2 comments:

Anonymous said...

"J’y reviendrai éventuellement, s’il y a de la demande" Personnellement, je suis très curieuse d'en savoir davantage, le sujet m'intéresse beaucoup, vous aurez donc au moins une lectrice !
Tout cela me fait penser à une autre citation que j'aime bien : "Eduquer, ce n'est pas remplir des vases mais allumer des feux." Vous en connaissez peut être l'auteur, sinon, je suis sûre que vous le trouverez facilement :)
Cela me fait également penser à une petite conversation que j'ai eu avant hier avec ma belle-soeur (elle est professeur d'anglais),
la "motivation de ses troupes", voilà son plus gros problème actuellement, tous les élèves n'ont pas envie d'apprendre à parler "English". Mais c'est certain, un enfant qui a l'un de ses deux parents anglais apprendra nettement plus vite la langue de Shakespeare, de même que quelqu'un qui va vivre plusieurs mois dans un pays anglosaxon.
"J’avoue qu’il y a tant à dire sur ce sujet"
Tant à dire effectivement.

Jean-Pierre Hamel said...

Oui, je pourrais mettre en ligne une "Annexe" au sujet de Jacquotot : ma fibre libertaire vibre facilement à son sujet.
Pour l'enseignement de l'anglais, on est justement dans le cas qu'il décrit : les enfants à l'école primaire non seulement brulent d'apprendre une langue étrangère, mais aussi beaucoup apprennent tout seul (mal, faute d'avoir un maitre ignorant), avec les chansons de leur MP3 ou avec les jeux vidéos.
A bientôt,
J.P.H.