L'horreur d'un accident qu'on découvre sur sa route provient de ce qu'il est de la vitesse immobile, un cri changé en silence (et non pas du silence après un cri).
Evard Munch – Le Cri (huile et pastel) 1893
Faut-il lire les explications données par les artistes sur leurs œuvres ? Peut-être pas. En tout cas, voyez celles que Munch a données sur les circonstances dans les quelles il conçut son célèbre tableau : « J'étais en train de marcher le long de la route avec deux amis - le soleil se couchait - soudain le ciel devint rouge sang – j'ai fait une pause, me sentant épuisé, et me suis appuyé contre la grille - il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir et de la ville - mes amis ont continué à marcher, et je suis resté là tremblant d'anxiété - et j'ai entendu un cri infini déchirer la Nature ».
Autrement dit, le personnage central n’est pas entrain de crier, il est sidéré d’effroi par le cri de la nature.
- Je persiste à dire que, pour mon propre compte je préfère voir une représentation d’un cri venant du personnage qui se bouche les oreilles, alors même que son cri restera étranglé dans sa gorge.
Ce n’est qu’une interprétation ? Peut-être. Mais voici ce qui importe : ce cri, d’où qu’il vienne, est un cri silencieux, et comme le dit Cocteau, un cri changé en silence et non un silence changé en cri.
Seulement Cocteau pense quant à lui à la pétrification du cri : comme la vitesse des véhicule est exprimée par l’enchevêtrement immobile des tôles, le cri des victimes est devenu silence de la mort.
La charge émotionnelle qui explose dans le tableau de Munch tient à ce qu’il nous donne à « entendre » un cri silencieux : tout comme le cri est l’au-delà de la parole, le silence est l’au-delà du cri.
En effet, le cri est habituellement considéré comme l’en deçà de la parole : là où l’animal crie, l’homme parle. Mais là où la parole est impuissante, devant l’indicible horreur, le cri revient comme le seul exutoire. Mais poussez encore plus loin l’horreur, quand le cri lui-même devient impuissant à l’exprimer, il ne reste plus que le silence, ou plutôt un cri silencieux, celui qui ne peut même plus sortir d’un gosier étranglé par le spasme de la terreur.
Autrement dit : si l’on n’entend pas le cri du personnage peint par Munch, ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un tableau ; c’est parce qu’il n’y a rien à entendre.
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