La bêtise est souvent l'ornement de la beauté ; c'est elle qui donne aux yeux cette limpidité morne des étangs noirâtres, et ce calme huileux des mers tropicales. La bêtise est toujours la conservation de la beauté ; elle éloigne les rides ; c'est un cosmétique divin qui préserve nos idoles des morsures que la pensée garde pour nous, vilains savants que nous sommes ! »
Charles Baudelaire - Maximes consolantes sur l'amour
On est souvent étonné de constater combien d’hommes, parmi les plus célèbres pour leur intelligence ou leur talent, ont aimé des femmes dont l’intelligence leur était visiblement très inférieures. On connaît le cas de Rousseau, vivant avec sa lingère - qu’il a même fini par épouser - et avouant qu’il n’avait pas même réussi à lui apprendre à lire l’heure.Je prends le parti de dire que la bêtise existe vraiment, qu’elle n’est pas simplement un dispositif d’exclusion qui nous permet d’afficher notre mépris pour les autres (comme nous faisons avec les « cons »). Certains lui d’ailleurs ont consacré des chansons (1). Baudelaire lui, la définit avec rigueur.
La bêtise existe, elle est le vide, l’absence de pensée.
Néant de la pensée, elle est absence d’arrière plan : la beauté du corps n’est plus troublée par les expressions de la pensée qui viendraient comme une lame de fond perturber de l’intérieur cette belle surface. Car cette beauté est beauté plastique, celle qu’on voit à la surface des choses, le calme huileux des mers tropicales.
Mais elle est aussi absence de sentiments, du moins des sentiments stimulés perpétuellement par la réflexion. Dans la beauté dont parle Baudelaire, il y a quelque chose de débonnaire, de légumineux ; aucune expression ne vient modifier l’expression du beau visage – imperturbable comme celui de la statue. La beauté est marmoréenne, elle éloigne les rides ; c'est un cosmétique divin.
Ainsi, la bêtise est effectivement l'ornement de la beauté : certes elle ne la crée pas, mais elle la révèle dans sa pureté. Elle permet de réaliser cette dichotomie qui sépare le fond de la forme, isolant cette dernière pour nous la livrer pure, sans contamination d’un sens extérieur.
– Alors attention au glissement de sens : Baudelaire ne dit pas qu’elle est nécessaire à la beauté, qu’il n’y a de beautés que dans la bêtise, qu’il n’y a que les bimbos à être belles. Mais les belles femmes – et les beaux hommes – sont plus évidemment belles si elles sont « de ravissantes idiotes ».
La bêtise est alors un plus !
(1) Voir l’Air de la bêtise auquel nous avons consacré un post récemment.
2 comments:
Je pense que la beauté n'est pas affaire que de plastique. Prise dans ce sens, on peut effectivement suivre l'idée que la bêtise "magnifie" la beauté ; mais il est évident que l'on peut trouver "belles" des personnes dont le corps est tout sauf grâcieux (si on examine les choses objectivement). Peut-être que le terme "charisme" sera alors plus approprié, mais on peut tout de même affirmer que Sartre apparaissait "beau" à un certain nombre de femmes.
Oui, bien sûr : aussi cette citation nous dit-elle quelque chose de la sensibilité de Baudelaire, et pas seulement de la Beauté.
Et s'il fallait justement que toute perception de la beauté soit l'aboutissement d'une évaluation qui implique notre "moi-profond" ?
Dis-moi ce que tu trouves beau : je te dirai qui tu es.
- Quand à Sartre, j'ai toujours en l'impression que sa laideur était venue avec le temps, et qu'au début il était au moins fort avenant.
J'ai l'impression que plus tard il a fini par avoir la laideur de Socrate.
Post a Comment