Monday, May 05, 2008

Citation du 6 mai 2008

Fort heureusement, chaque réussite est l'échec d'autre chose.

Jacques Prévert Fatras

Dans la série Les citations qui vous prennent le chou, voici Prévert.

Parce que, admettre qu’il n’y a de réussite que contre quelque chose ou quelqu’un, que chaque succès soit l’aboutissement d’une marche au bord de l’abîme, que la réussite garantie soit une réussite sans joie et sans intérêt, déjà il faut le prouver.

Mais en plus dire que tout cela est fort heureux, voilà qui est plus difficile à montrer.

- D’abord, laissons de côté l’interprétation faiblarde qui consisterait à dire qu’on ne connaît quelque chose que par contraste avec son contraire : que le noir ne se perçoit que se détachant sur du blanc ; que la joie n’est possible que si elle vient sécher nos larmes de chagrin.

Non. Ce qu’il faut remarquer c’est que si le succès est quelque chose d’exceptionnel, ou du moins de pas banal, c’est parce que sa réalisation n’est pas donnée, que l’échec est aussi possible. Lorsque l’échec est devenu impossible, comme le joueur aguerri affrontant un débutant, le succès s’éclipse : A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, comme disait l’autre (1). Chaque réussite est donc l’échec d’autre chose, non pas qu’il faille forcément un opposant, mais au moins de forts aléas. L’enfant qui réussit ses premiers pas : voilà qu’on l’applaudit. Ensuite, qu’il marche, courre comme il veut, on ne le remarque pas.

Ajoutons que ce contraste n’est pas seulement celui d’un voisinage, que l’échec et le succès sont bord à bord, comme deux coureurs qui luttent pour arriver le premier. On dit souvent que l’échec est nécessaire pour connaître le prix du succès, que celui qui a tout sans jamais échouer est un être imparfait. Mais ce qu’on ne remarque pas assez, c’est que c’est en luttant contre l’échec, en faisant échec à l’échec, que le succès peut avoir cette dimension.

Le succès conquis de haute lutte, voilà ce qui a du prix.

Heureux ceux qui ont beaucoup échoué, le bonheur leur est garanti au premier succès.

(1) Corneille – Le Cid, acte II, scène 2

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