Tuesday, August 19, 2014

Citation du 20 août 2014


La prostituée n’a dès lors plus de raison de s’attarder avec cet homme (= le poilu), ce pauvre bougre qui s’est privé de pinard et de cigarettes durant des semaines entières, afin de pouvoir la posséder quelques secondes.
Elle ne fait pas de sentiments, elle a supprimé les cocos, les chéris et les baisers. D’autres clients l’attendent, elle l’expédie hâtivement.
René Naegelen – Les Suppliciés (arrière du front 1915)
Laissons de tomber la Madelon et son cotillon qui frôle les hommes sous la tonnelle.
N’ayons pas peur des mots : parlons de la sexualité de ces hommes des tranchées durant ces 4 longues années de guerre de 1914 à 1918. Les études sur la question sont nombreuses, mais sans avoir à les évoquer longuement, rappelons simplement qu’il a fallu attendre mars 1918 pour que soient créées les « maisons de tolérance militaires » (1).
Ce n’est pas seulement de l’indifférence au sort des soldats : si leur sexualité est restée taboue, c’est qu’on en est encore à l’image du guerrier, héros vierge qui lutte victorieusement les armes à la main. Cette vision a été largement popularisée par Wagner : non seulement les Walkyries étaient vierges, mais n’oublions pas que Parsifal a dû vaincre la tentation féminine pour garder sa pureté afin de conquérir le Graal.
On m’objectera qu’il s’agit d’une mythologie germanique, qu’on devait rejeter comme liée à cet ennemi barbare – mais il s’agit aussi de la tradition monastique du moine-soldat. J’ai même trouvé des passages dans Les Misérables où Victor Hugo dit que l’énergie conservée grâce à l’abstinence peut se reconvertir en force décuplée pour triompher des obstacles de la vie. Un peu comme avec la sublimation.

Bien entendu, dans la réalité, nos soldats n’ont pas attendu 1918 pour trouver des moyens de se soulager mais comme nous le rappelle René Naegelen, ce fut rarement avec la gloire que cette image tend à accréditer : 
Carte postale éditée en 1916
Décidément cette guerre a démasqué bien des illusions…

[N-B Une amie à qui je parlais de cette évocation de la sexualité des tranchées me répondit : « Eh quoi ? N’y avait-il pas des Poilus gays qui satisfaisaient leur libido sans devoir sortir de leurs tranchées ? »
Des Poilus-Gays ? Quel abominable oxymore !]
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(1) C’est le général Mordacq, chef de cabinet au ministère de la guerre, qui prend la décision, le 13 mars 1918, de créer des maisons de tolérance militaires.

1 comment:

Lazhar said...

Il
dénonce l'absurdité de cette
guerre : « Cette guerre, on ne
savait pas pourquoi on la faisait.
On se battait contre des gens
comme nous... » , « On ne
voulait pas faire la guerre, on
nous a obligés à la faire sans
qu'on sache pourquoi », en
effet, toute désobéissance
conduisait au mieux « de Verdun
à Cayenne », au pire valait le
peloton d'exécution. « On se
battait, on ne se connaissait
pas. On se tue, on ne se connait
pas. Pourquoi ? »