« Connais-toi toi-même. Maxime aussi pernicieuse que laide. Quiconque s'observe arrête son développement. La chenille qui chercherait à bien se connaître ne deviendrait jamais papillon. »
Gide - Les nouvelles nourritures
Auguste Comte ironisait sur celui qui voudrait être à sa fenêtre pour se regarder passer dans la rue : cette critique de l’introspection est reprise par Gide, qui l’oriente vers sa nocivité pratique. C’est sûr que la chenille ne se demande pas si elle doit devenir papillon. Mais l’homme ne peut-il quant à lui se demander quel homme il va - il doit - devenir ? Vouloir opposer la spontanéité à la réflexion rationnelle, c’est sans doute intéressant mais est-ce réaliste ?
Bergson disait qu’on ne peut connaître l’avenir parce qu’il n’existe pas, et qu’il n’existe pas parce qu’il nous faut l’inventer. En devenir, nous mouvant sans cesse d’un passé immédiat à un avenir imminent, nous ne formons jamais une réalité stable comme un objet que nous - ou d’autres - pourrions étudier. De ce point de vue le précepte socratique est vain en effet, puisqu’on ne peut connaître ce qu’on est en train de devenir ; aucune essence éternelle à découvrir derrière le rideau des apparences, aucun statut social capable de déterminer notre nature, aucune hérédité pour nous définir.
Mais si nous ne pouvons nous définir du moins devons nous orienter notre évolution en tenant compte de ce que nous sommes devenus. Qui donc pourrait affirmer sans faire rire : « Aujourd’hui, j’étudie la physiologie des bigorneaux, mais hier je m'étais spécialisé en littérature chinoise - époque ming - ; je réfléchis à demain ; peut-être devrais-je faire une recherche sur la technique du béton pré-contraint… ». Même Sartre disant « l’existence précède l’essence » admet tout à fait que l’essence existe. D’ailleurs si la chenille n’a pas besoin de connaître le papillon qu’elle va devenir, celui-ci peut en revanche, réfléchir à sa condition papillonnante.
Le seul problème reste donc de savoir si nous sommes devenus le papillon que nous avons à être.
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