« L’antisémitisme n’entre pas dans la catégorie de pensée que protège le Droit de libre opinion. »
Jean-Paul Sartre - Réflexions sur la question juive
C’est plutôt étonnant : beaucoup de gens - sincères et surtout pas antisémites - ne comprennent pas que l’opinion antisémite soit un délit (ce qu’elle n’était pas encore lorsque Sartre a écrit ces lignes). Après tout disent-ils, la liberté d’opinion couvre toutes les opinions, qu’elles soient religieuses, politiques, morales, artistiques, que sais-je encore ? Pourquoi, alors que je peux tenir des propos sur la religion de mon voisin qu’il va d’ailleurs peut-être juger offensants pour ses convictions, serais-je tenu pour pénalement condamnable si je dis du mal des juifs (ou d’autres races, ou des homosexuels…).
En fait il faut être naïf - comme moi - pour s’en étonner, car dans leur forme ces estimations sont toutes équivalents : elles énoncent un jugement de valeur, une préférence, une répugnance. Seulement, voilà, dit Sartre, ce n’est pas la même chose de dire, par exemple « Je n’aime pas la tarte aux pommes », ou «Je suis contre la politique vinicole du gouvernement (1947) », et dire « Dehors les Juifs » voire même « mort aux Juifs ».
L’opinion est un état d’esprit consistant à affirmer ce que l’on croit vrai tout en sachant qu’on peut se tromper. Dans un sens plus restreint elle désigne ces idées qui expriment ou impliquent notre personnalité (opinion personnelle). Ceux qui revendiquent un droit de libre opinion songent souvent à ce second sens : j’ai le droit d’être comme je suis (sans avoir à me justifier), j’ai donc le droit de penser ce que je veux (et qui est la conséquence de ma personnalité).
Seulement, voilà. Appeler au meurtre ou simplement à la haine, à l’exclusion, ce n’est pas une opinion ; c’est un acte. Je ne formule pas simplement ma vision philosophique du monde, je m’implique dans un effort pour exclure mes semblables de leur droits, je leur refuse ce que pourtant je réclame pour moi : la liberté d’exister et de jouir des droits fondamentaux de l’homme. Qu’ils soient Juifs, arabes, homosexuels ou ce qu’on voudra.
Exactement comme la diffamation, l’opinion antisémite ou raciste n’a d’opinion que le nom : c’est un crime perpétré par la pensée.
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