« C’est dur de haïr tout seul ; mais à plusieurs, c’est un vrai plaisir. »
Bernard-Marie Koltès - Dans la solitude des champs de coton
On pense au quart d’heure de la haine imaginé par Orwell dans 1984 : les fonctionnaires du ministère de la mémoire (et tous les autres sans doute) sont convoqués chaque jour dans une salle de télévision. Sur l’écran défile pendant un quart d’heure des images de l’opposant politique de Big Brother (l’opposant a un nom juif, bien sûr). Et pendant ce quart d’heure les spectateurs couvrent d’insultes et de menaces cet ennemi du pouvoir. Et cela partout dans le pays, et chaque jour.
La haine n’est pas seulement plus éruptive dans le foule, elle est aussi plus jouissive. Je ne sais pas si c’est dur de haïr tout seul parce qu’on ne choisit pas de le faire, à moins de croire à la responsabilité des passions. En tout cas, si l’amour est jouissance, la haine est une souffrance dans la mesure où elle désire l’anéantissement de son objet, mais qu’en même temps elle ne se satisfait vraiment que d’une destruction lente, indéfiniment prolongée, ce qui n’arrive pas. Par contre la haine à plusieurs donne une satisfaction : celle de se conforter dans son être par l’identification aux autres : après tout haïr n’a pas beaucoup d’importance ici, ce qui compte c’est d’exister à travers les autres, amplifié par leur nombre et leur force, identifié à la personnalité de leur leader. Car c’est à un jeu de l’identification qu’on assiste, le même que celui qui, dans l’armée, fait que le soldat est prêt à torturer et à mourir, car ce n’est pas lui qui torture ni qui meure : c’est la troupe ou c’est son chef. C’est justement parce que la haine ici n’est qu’un moyen qu’elle est si aisée à susciter, si démesurée dans ses explosions, et pour finir si facile à déplacer vers une autre victime.
Si donc on imagine que les foule sont sadiques on se trompe : elles ont une existence et elles se cherchent une identité.
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