C'est dans la lenteur qu'éclate la majesté humaine. De préférence sur une surface horizontale. Louis XIV n'allait jamais à bicyclette.
Alexandre VIALATTE - Chroniques de La Montagne - 14 janvier 1964
« Louis XIV n'allait jamais à bicyclette ». C’est malin ça… Et quand il faisait l’amour à la Montespan, était-ce avec une majestueuse lenteur ?
Le témoignage le plus sérieux là dessus, c’est dans la musique qu’il se trouve. Qu’on écoute les Entrées des Ballets de Lully : on y trouvera effectivement cette lenteur majestueuse ; et on se rappellera que Louis XIV avait lui-même chorégraphié certains d’entre eux. D’ailleurs la danse (= le ballet baroque) est bien une manifestation de la majesté, empruntant à la cérémonie certaines de ses figures. De surcroît, la danse est l’effacement de l’effort, légèreté non seulement du geste, mais aussi du corps : le danseur se déplace comme sur une « surface horizontale ». Ici, cette faculté de se mouvoir sans effort, est une image de la puissance. Mais revenons à la lenteur.
La lenteur est effectivement un signe de la majesté : elle signifie que le Roi ne se meut pas dans la même temporalité que le commun des mortels. Comme le pensait Bergson, chaque être ou chaque réalité a sa propre temporalité (« Il faut attendre que le sucre fonde » disait-il) : celle des seigneurs n’est pas celle des roturiers.
N’y aurait-il pas une leçon pour nous pauvres roturiers ? Ici, la lenteur n’est plus un signe de distinction : elle résulte d’une modification de l’écoulement du temps. La lenteur est une distension de l’instant, elle produit un instant suspendu qui ne finirait jamais ou du moins, le plus tard possible. C’est donc une manière de faire durer l’instant, de le rapprocher autant que faire se peut, de l’éternité.
A la même époque, Boileau déplorait justement la brièveté de l’instant :
« Hastons-nous ; le Temps fuit, et nous traîne avec soy.
Le moment où je parle est déjà loin de moy. » (1)
L’erreur de Boileau, c’est de chercher dans la hâte le moyen de mieux vivre l’instant (2). Il n’a pas su comprendre pourquoi « Louis XIV n'allait jamais à bicyclette ».
(1) Nicolas BOILEAU- Épîtres - III
(2) Voir la citation de Paul Fort, message du 3 janvier, et celle de Ronsard du 27 avril
1 comment:
J'adooooore Vialatte !
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