Thursday, November 23, 2006

Citation du 24 novembre 2006

La haine est certainement le plus durable des plaisirs : on se presse d'aimer, on déteste à loisir.

Lord Byron Le pèlerinage du chevalier Harold

On raisonne à perte de vue sur l’amour ; on oublie la haine. Et pourtant si rien n’est plus fugace que l’amour, rien n’est plus durable que la haine. Si la philosophie consiste à s’étonner de ce qui n’étonne personne, alors nous avons là de quoi commencer à philosopher…

En fait on se détourne de la haine, on n’en parle pas, on n’y « pense » pas, parce que c’est « vilain » de haïr ; notre culture chrétienne nous a appris que la haine était un péché, que nous devions éprouver de l’amour pour notre prochain, aimer jusqu’à nos ennemis.

Je ne crois pas me tromper en disant que Nietzsche est sans doute le seul philosophe qui ait donné un statut véritable à la haine : pour lui, son sens varie avec la force qui l’habite. La haine est alors un révélateur de la nature humaine : dis-moi comment tu hais ; je te dirai qui tu es (sans jeu de mot pour une fois). Sous une forme agressive, la haine est une force vitale, celle qui habite le « maître » (1) : elle est un excitant de la vie. Lorsqu’elle est rancœur morbide, elle devient haine de la vitalité ; Nietzsche l’attribue alors à « l’esclave » (1), celui dont la faiblesse produit cette rumination stérile, l’homme qui n’en finit jamais. Voilà donc la haine telle que nous la décrit Lord Byron.

Pourtant, il dit quelque chose de plus : la haine n’est pas seulement durable ; elle est le plus durable des plaisirs. On aimerait croire qu’il se trompe. Encore un effet de notre éducation chrétienne : le plaisir de haïr, ça existe. Vous ne me croyez pas ? La délectation de la médisance, ça vous dit quelque chose ? Le plaisir secret de voir l’ami - oui : l’ami ! - échouer ou connaître un malheur, ça, vous ne connaissez pas ? Comment ? Le malheur de l’ami est l’occasion de l’aider, votre bonheur c’est de lui prouver ainsi votre amitié ? Dit comme ça, c’est en effet plus présentable…

Deviendrais-je misanthrope avec l’âge ?

(1) Maître et esclave sont chez Nietzsche plus des concepts que des statuts sociaux. Sachant que les forces antagonistes que nous évoquons plus haut coexistent en chacun, on dira que le terme de « maître » désigne celui qui a su dompter en lui les forces réactives, et l’esclave est celui qui ne l’a pas fait. Voir message du 17 aout

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