Monday, November 20, 2006

Citation du 21 novembre 2006

Au rebours des autres siècles qui pratiquèrent la torture négligemment, celui-ci, plus exigeant, y apporte un souci de purisme qui fait honneur à notre cruauté.
Emile CIORAN Syllogismes de l'amertume -1952
C’est vrai que Cioran se trompe s’il croit que les siècles passés ont ignoré la recherche d’une torture rationnelle, mesurée et calculée. Sous l’Ancien Régime, la question était un acte judiciaire réglementé : tant de peintes d’eau à faire absorber au prévenu ; tant de coups de fouet au coupable, etc.. (1)
Mais il ne se trompe pas hélas pour ce qui est de notre époque. Georges W Bush a fait voter par le Congrès le Military Commissions Act : ce nouveau texte interdit la torture lors des interrogatoires. Oui, mais il laisse aussi au chef de la Maison Blanche le soin de préciser les méthodes d'interrogatoire qui seront effectivement utilisées, et qui pourront être des techniques « alternatives », légitimant un peu plus l'usage de la torture par les agents de la CIA. Comprenne qui pourra…
J’ajouterai simplement que Cioran, adepte du pessimisme, voit juste lorsqu’il montre que le progrès de l’humanité est celui de la rationalité et de la rigueur … dans la cruauté. La sauvagerie du soudard qui pille et viole est dépassée. Voyez la Bosnie où les Serbes ont pratiqué le viol politique, destiné à ruiner toute possibilité pour leurs adversaires de revivre normalement après la fin du conflit. La torture n’est donc pas uniquement l’expression d’une pulsion violente et sadique ; elle n’est donc pas seulement l’expression de la bête humaine. Elle est aussi la conséquence de la disqualification de l’autre comme être humain, sa transformation en chose. Et alors, il importe peu que la torture soit mutilante ou simple interrogatoire « musclé ». Dans tous les cas l’humain a disparu, et la victime n’est rien de plus qu’un morceau de fer ou de bois, à limer ou à fendre.
On connaît le poncif du film évoquant les atrocités nazies : le führer des SS assiste à la torture sauvage d’un prisonnier dans son bureau, et il caresse en même temps son chat. On fait à l’homme ce qu’on ne ferait pas à un animal.
(1) Lire là-dessus, Michel Foucault Surveiller et punir, le chapitre 1 consacré au supplice de Damien.

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