J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulement d'eau au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !
Rimbaud - Le Bateau Ivre
Quelle différence entre la vraie poésie et les poésies médiocres ?
Je serais tenté de dire qu’avec la poésie le sens nous habite avant que nous l’ayons analysé. Je crois qu’il faut lire Merleau-Ponty pour le saisir cela – et peut-être Heidegger : de même que l’intention de signifier sous-tend et guide l’expression, de même il y a une intuition du sens déclenchée par l’expression poétique, qui sous-tend et guide sa compréhension. On est saisi par le sens avant de l’avoir compris. Si vous ne me croyez pas, lisez ce quatrain, lisez tout le Bateau ivre, lisez tout Rimbaud, tout Baudelaire, etc…
Les mauvaises poésies… Pourquoi en parler, puisqu’elles sont mauvaises ? En plus comme elles sont multiples il nous faudrait des pages et des pages pour en terminer le pitoyable inventaire. Aussi, je me contenterai de pointer une caractéristique de ces ennuyeux poètes, qui montre de quelle façon ils singent la poésie. Ils nous infligent des poèmes faits de trois mots sur une page blanche : « Un mot en moins, disent-ils, est un mot de trop en moins. » C’est qu’ils savent que dans un poème le sens du mot est comme un malle au trésor avant qu’on l’ait ouverte : il est riche de tous les sens à la fois. Alors comme ils ne savent pas faire, ils réduisent les occurrences des mots, pour créer une tension par ces juxtapositions insolites : à charge pour vous, lecteurs, de boucher les trous en fabriquant le sens qu’ils n’ont pas su créer ! Même s’il faut se casser la tête pour y arriver. Do it yourself !
Tout ça pour en arriver à ceci : la poésie, c’est ce qu’il y a de plus simple à lire, parce qu’elle est comme la musique : elle vous prend aux tripes sans qu’on l’ait voulu, sans qu’on l’ait cherché, parfois même quand on ne le voudrait pas.
D’ailleurs, n’est-ce pas l’effet de ces vers du Bateau ivre ?
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