La France a toujours cru qu'une chose dite était une chose faite.
Henri-Frédéric Amiel (1821-1881)
On le savait déjà au XIXème siècle : les français croient qu’il suffit de dire pour faire. Et aujourd’hui ?
Prenez le célèbre discours du candidat Nicolas Sarkozy du 19 décembre 2006, à Charleville-Mézières (1). Je ne retiendrai pas la longue litanie des misères qui affligent les malheureux Ardennais (2). Je ne retiendrai que la formule suivante : «je dirai tout avant l'élection parce que je ferai tout après » (3).
On a bien compris que c’était là une nouvelle conception de la légitimité politique, l’élu de l’exécutif se réclamant d’un mandat électif le justifiant dans son action par-dessus les élus du pouvoir législatif : on essaye de mettre en place une sorte de démocratie directe, non constitutionnelle, en prise avec la « vraie France » - entendez celle qui souffre.
- Mais revenons à notre croyance dans le pouvoir des mots. Maintenant que l’état de grâce suivant l’élection s’est éclipsé, on comprend un peu mieux ce qui se passe.
…Je ferme les yeux, je me laisse aller au gré de mon imagination ; je vois la France - oui, oui - assise sous son arbre et regardant pâturer ses moutons : elle pleure. Elle pleure, parce qu’elle comprend qu’elle s’est laissée prendre à la magie des mots. Non pas comme une pauvre fille piégée par le vil séducteur qui lui a promis de la faire tourner dans une super production hollywoodienne. Non, plutôt comme l’enfant qui a cru que l’on pouvait grâce à des incantations voler dans les airs ou se doter d’armes terribles ; elle a cru qu’elle aussi pourrait devenir Harry Potter.
Dans l’étonnant succès électoral de notre candidat président, il y a eu cette croyance que des mots peuvent changer les choses. Il y a cette foi dans l’homme - car ce n’est pas à la portée de n’importe qui - capable de faire ce qui dit, parce qu’il le dit. Quand le Président Hu Jintao prononcera la phrase rituelle à Pékin, en Août prochain : « Je déclare ouverts les Jeux Olympiques de Pékin », cette phrase aura le pouvoir de faire ce qu’elle annonce : on aura reconnu là l’énoncé performatif de J.L Austin.
Hé bien, la France pleure, parce qu’elle s’aperçoit que tous les énoncés politiques ne sont pas forcément des énoncés performatifs.
(1) Il s’agit du discours sur « La France qui souffre » : lisez-le, même s’il est un peu long, c’est un beau morceau d’éloquence.
(2) Comme j’ai des amis là-bas, je précise de suite que les malheurs qui les affligent sont compensés - et au-delà - par le charme de leur pays.
(3) Extrait : « Je veux lui dire que si nous le voulons, nous ferons reculer le chômage de masse, la pauvreté, les inégalités.
Je veux lui dire que ce que les générations précédentes ont fait nous devons le faire aussi.
Je veux lui dire qu’il n’y a aucune fatalité à l’injustice et au malheur.
Je veux lui dire que l’avenir sera ce que nous saurons en faire.
Je veux lui proposer de renoncer au renoncement.
Je veux lui promettre que tout peut redevenir possible.
Je veux lui dire les yeux dans les yeux que je dirai tout avant l'élection parce que je ferai tout après. Je sais que vous vous êtes souvent sentis trahis. Je ne vous trahirai pas. Je ne vous mentirai pas. Je ne vous abandonnerai pas. »
Je veux lui dire que ce que les générations précédentes ont fait nous devons le faire aussi.
Je veux lui dire qu’il n’y a aucune fatalité à l’injustice et au malheur.
Je veux lui dire que l’avenir sera ce que nous saurons en faire.
Je veux lui proposer de renoncer au renoncement.
Je veux lui promettre que tout peut redevenir possible.
Je veux lui dire les yeux dans les yeux que je dirai tout avant l'élection parce que je ferai tout après. Je sais que vous vous êtes souvent sentis trahis. Je ne vous trahirai pas. Je ne vous mentirai pas. Je ne vous abandonnerai pas. »
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