Lire - 3
Il y a, je crois, plus d'idées réelles dans les Confessions de Rousseau que dans son Émile ; et il est rare que l'on lise des Mémoires sans en tirer quelque chose. Si vous me demandiez ce qu'il faut lire pour connaître l'homme, je conseillerais plutôt de lire Balzac ou Stendhal, qui ont recueilli et enchâssé tant de paroles échappées, que La Rochefoucauld lui-même, qui s'étudie à répéter la même chanson. Encore va-t-il jusqu'au bout de son refrain ; mais ceux qui l'ont connu entendirent sans doute des chansons plus libres. Faites attention à ceci que le vrai observateur semble toujours distrait ; c'est qu'il guette l'imprévisible chant du merle. (1)
Alain - Propos 21 juillet 1921
Lire, oui ; mais quoi ? Des romans ? Des Essais ? Des biographies ? Des mémoires ? S’il faut choisir, que choisir ?
Tout choix impose un renoncement, c’est hélas vrai (2), mais nous n’avons pas l’éternité devant nous : il faut choisir.
Alors pour ma part je serais assez d’accord avec Alain : lisons des Mémoires, ou mieux, les Journaux (ceux que les anglais nomment Diary), les Carnets, bref, toutes ces notes prises au jour le jour. Pour les Mémoires, il faut admettre qu’elles servent trop souvent d’auto-justification ou d’auto-glorification. Les Confessions de Rousseau, justement ; les Mémoires d’Outre-tombe, tout autant. Par contre, les notes prises au jour le jour sont des observations qui nous livrent aussi bien la pensée de l’auteur que ses sensations, sans le filtre de la censure imposé par le souci de créer une œuvre littéraire, ou par le désir de ne pas froisser les proches ou les amis concernés. Le Journal n’est a priori pas destiné à la publication ; les Mémoires le sont.
Mais il y a plus. Pour restituer ce qu’on observe, il faut que l’écrit soit improvisé, jamais repris ni raturé : c’est comme cela qu’il peut saisir «l'imprévisible chant du merle ». C’est dans cette proximité du sujet-écrivant et de son objet-décrit, dans le jaillissement de l’écrit qui vient se calquer sur celui du trait observé que le journal intime trouve toute sa force.
L’invention du magnétophone a apporté sa contribution à ceci. L’entretien enregistré peut très bien prendre place dans cette bibliothèque de la vie.
Lire : oui. Mais écouter aussi.
(1) C’est moi qui souligne : il s’agit de la formule qu’on pourrait retenir en guise de citation.
(2) Voir Spinoza : Omnis determinatio est negatio. On dit que c’est Hegel qui aurait ajouté « omnis » à cette formule en l’attribuant à Spinoza.
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