Quand nous enlevons la vie aux hommes, nous ne savons ni ce que nous leur enlevons, ni ce que nous leur donnons.
Lord Byron – Sardanapale
Cette affirmation devrait faire réfléchir ceux qui soutiennent que la peine de mort est la seule acceptable dans des cas des crimes les plus odieux (1).
On raconte (je crois que c’est Michel Foucault) qu’autre fois, lorsqu’on rouait un criminel, on l’étranglait au bout d’un certain nombre d’heures d’agonie, pour que son âme ne désespère pas de Dieu. Autrement dit on ne voulait pas être responsable de sa damnation ; on savait qu’on lui retirait la vie, mais on ne voulait pas être responsable de lui donner l’enfer.
Personne ne sait ce qu’est exactement la mort, pas plus qu’on ne sait ce qu’il y a après elle : elle est « métempirique » comme disait Jankélévitch – entendez qu’elle est au-delà de toute expérience possible.
Que nous soyons si friands de récits de gens qui sont revenus de l’au-delà de la mort pour nous raconter la belle lumière qu’ils ont vue, et la corde d’argent qui les reliait à leur corps, montre à mon avis qu’on ne se résignera jamais à admettre notre ignorance. Ignorance radicale, parce qu’elle n’est pas simplement le fait de ne pas savoir ce qui se cache sous le voile ; elle est aussi de savoir s’il y a quelque chose de caché.
Redescendons de ces cimes – ou plutôt : remontons de ces abîmes. Car Byron commence en parlant d’autre chose : « Quand nous enlevons la vie aux hommes, nous ne savons [pas] ce que nous leur enlevons ». Car qu’est-ce que la vie qu’on leur prend ? Quand Socrate a bu la ciguë, il avait 71 ans : ce n’est pas la même chose que s’il avait eu 21 ans. Supposez que le suicidé qui se manque soit condamné comme un criminel à la peine capitale : peine absurde puisqu’on lui infligerait ce qu’il voulait se faire à lui-même. En tout cas, la vie qu’on lui prendrait n’aurait pas grande valeur pour lui.
La vie n’a pas une valeur prédéfinie, ni mesurable : lorsqu’on inflige la peine capitale à un homme, il faut admettre que lui seul pourrait connaître le poids de cette peine.
Mais remarquez que c’est la même chose pour la privation de liberté : en vous privant de liberté, de quoi vous prive-t-on ? Supposez que dans votre cellule on vous laisse la télé ?
(1) Inutile de citer la cas de l’affaire Fourniret, sauf pour observer que le rétablissement de la peine de mort en France pour un tel cas n’a pas été évoqué : peut-être que les fanatiques de la guillotine se sont lassés…
3 comments:
Très intéressant!
Juste une petite remarque, je pense que même nous intérieurement ne pouvons savoir ce que vaut notre vie et le fait de la perdre. Ce "calcul" implique aussi tout ceux que l'on a côtoyé. Une personne qui se suicide sait ce qu'il lui coûte de se donner la mort, mais elle ne sait pas ce qu'il va en coûter à son entourage.
Sur l'affaire Fourniret, je ne serais pas aussi catégorique que toi. J'écoutais l'autre jour un des avocats des victimes, et il disait en substance au journaliste : "les victimes ont été dignes, et à aucun moment elles n'ont réclamé la peine de mort".
Evoquer ici la peine de mort, alors qu'il n'y a pas lieu de le faire, puisque celle-ci n'existe plus en France, traduit à mon avis une forme d'exigence non avouée comme telle.
- je pense que même nous intérieurement ne pouvons savoir ce que vaut notre vie et le fait de la perdre.
-- Sans doute, mais n'est-ce pas justement là l'interrogation de toute notre vie ? Peut-être devrions-nous juste savoir un peu mieux y répondre en vieillissant.
- Sur l'affaire Fourniret, je ne serais pas aussi catégorique que toi.
-- La dignité des victimes contre la bestialité du criminel... Ça peut en effet exister.
Reste que les tamtams de l'opinion publique n'ont pas retenti sur ce thèmes. A suivre ...
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