L'usage seulement fait la possession. / Je demande à ces gens de qui la passion / Est d'entasser toujours, mettre somme sur somme, / Quel avantage ils ont que n'ait pas un autre homme. / Diogène là-bas est aussi riche qu'eux, / Et l'avare ici-haut comme lui vit en gueux. »
La Fontaine – Fables (Livre quatrième – XX – L'avare qui a perdu son trésor
Qu’est-ce qui fonde la propriété ? Le travail ? Le droit ? La force ? L’héritage ? Que sais-je encore ?
– L’usage seulement fait la possession dit La Fontaine, et ma foi, cette réponse n’est pas plus bête qu’une autre.
Mais ce qui est plus intéressant, c’est de noter que La Fontaine argumente en comparant l’avare qui accumule un trésor sans y toucher et celui qui est démuni de tout. La seule différence qu’il puisse y avoir entre celui qui possède et celui qui n’a rien vient de l’usage qu’il fait de ses richesses.
– Prenons un exemple. Votre voisin a une très belle voiture, de celle sur la quelle on se retourne quand elle passe dans la rue. Il ne veut pas l’abîmer, et donc il la gare chez lui, sans la faire rouler, de peur des accidents. Il pourrait au lieu de la mettre au fond de son garage la laisser devant sa porte, pour montrer à tous son trésor sans l’user, mais il craint tous ces vandales qui cassent les rétroviseurs et rayent les carrosseries. Bref, voilà un bien qui, parce qu’il est inestimable, non seulement reste inconnu de tous, mais en plus ne sert à personne. Et ne croyez pas que je galèje : chacun sait que des tableaux sublimes ont été achetés par des compagnies d’assurance qui les enferment dans les coffre forts climatisés des banques.
Tiens, justement, j’apprends que c’est vous qui possédez la Joconde – je ceux dire que le vrai tableau, c’est vous qui l’avez, celui du Louvres, c’est une copie. Félicitation. Vous allez accrocher le chef d’œuvre de Léonard dans le salon, au-dessus du canapé, bien exposé à la lumière qu’on le voie un peu.
Alors, oui, c’est vrai : la lumière du jour va faire passer les couleurs, et petit à petit il ne restera qu’une image en bleu-vert.
Peut-être. Mais si Léonard s’est donné tant de mal pour faire ça, ce n’est pas pour qu’on le bunkérise, même dans un musée. Périsse la Joconde si c’est la condition pour qu’on en jouisse !
– Mais dites-moi, ça ne serait pas un éloge de la consommation, ça ?
2 comments:
Mais dites-moi, ça ne serait pas un éloge de la consommation, ça ?
Je dirai plutôt que c'est un éloge de la possession.
Un éloge de la consommation serait plus de ne pas se contenter de ce que l'on possède et donc de toujours vouloir plus.
Ici, on doit jouir de sa possession, ce qui laisse moins de place à la recherche de nouvelles possessions, et donc de la consommation...
Je prenais le terme de consommation dans son sens habituel en économie qui suppose la destruction de la chose possédée. L’homme qui consomme une côtelette de mouton la détruit en la mangeant. La voiture est consommée dans la mesure où on l’use en la faisant rouler.
L’œuvre d’art se possède mais elle ne se consomme pas – sauf exception.
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