De l'oeuf (1)
Rien ne pèse tant qu’un secret ;
Le porter loin est difficile aux dames ;
Et je sais même sur ce fait
Bon nombre d’hommes qui sont femmes.
Jean de La Fontaine – Les Femmes et le Secret (1668)
L’histoire inventée par La Fontaine est savoureuse. La voici.
Après l’introduction donnée en citation, La Fontaine enchaîne : Pour éprouver la sienne un mari s’écria, / La nuit étant près d’elle : Ô dieux ! qu’est ce cela ? / Je n’en puis plus ! on me déchire ! / Quoi ! j’accouche d’un œuf ! ─ D’un œuf ? ─ Oui, le voilà / Frais et nouveau pondu : gardez bien de le dire ; / On m’appelleroit poule. Enfin n’en parlez pas.
Bien entendu la femme s’empresse de tout raconter sous le sceau du secret à sa voisine qui en fera autant en ajoutant à l’exploit du mari : Au lieu d’un œuf elle en dit trois. / […] Avant la fin de la journée / Ils se montoient à plus d’un cent.
Qu’un secret soit difficile à garder ; que lorsqu’il s’ébruite il donne naissance à une rumeur ; qu’une rumeur soit crue même quand elle est absurde : voilà ce qu’on sait déjà.
Par contre, ce qui surprend c’est l’épreuve inventée par le mari : pondre un œuf ! Qu’il s’agisse de montrer la naïveté de la femme, soit. Qu’il s’agisse aussi d’inventer une histoire complètement improbable pour être sûr que la rumeur ne puisse pas venir d’une autre source, soit. Mais tout de même, pondre un œuf… Que dis-je « pondre »? C’est « accoucher » qu’il faut dire (J’accouche d’un œuf dit le mari).
A partir de là, je serais pour ma part tenté de prendre cette fable un peu plus au sérieux ; ne serait-ce pas aussi l’histoire d’un désir secret : celui d’un homme qui voudrait accoucher de ses enfants ?
Et en effet, l’homme a bien le fantasme de posséder l’autre sexe. Freud le dit (1) : le sexe est un choix opéré très jeune, au sein de la bisexualité. Mais si ce choix n’était pas tout à fait total ?
Allons plus loin : si le sexe masculin revendiqué par l’homme allait de paire avec un désir encore plus secret : celui d’enfanter comme la femme ?
Dans ce cas nous serions renvoyé à cette évidence qu’on oublie souvent : l’acte sexuel n’est qu’une étape dans un processus qui aboutit à la naissance d’un enfant (2) – tout le reste est perversion (3). A ma connaissance les freudiens l’ont repéré dans la sexualité féminine ; et si on le repérait aussi dans la sexualité masculine ?
L’homme dans ce cas ne saurait se contenter d’être le père de ses enfants ; il voudrait en être aussi la mère.
(1) En particulier dans les 3 essais sur la théorie de la sexualité
(2) C’est comme ça que l’Eglise prône l’abstinence.
(3) Freud dixit ; si vous n’appréciez pas, adressez vous à lui.
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