Victor Hugo – Océan
Voilà une citation qui fait peur quand on a la prétention de la commenter : car, ou bien c’est une banalité – à savoir l’instinct est animal, la pensée est humaine. Et basta.Ou bien il faut dire, voilà ce que c’est que l’instinct, voilà ce que c’est que la pensée, et voilà comment l’un s’oppose à l’autre. Et on n’est pas sorti de l’auberge.
Je ne me risquerait donc qu’à considérer la dernière question : quelle différence entre l’instinct et la pensée ?
Et pour répondre sans recourir à des définitions qui appelleraient des contestations infinies, je prendrai un exemple.
Monsieur Jourdain – avouez que vous ne l’attendiez pas celui-là – quand il voit la belle marquise, que fait-il ?
Supposez qu’il ait une érection : voilà l’instinct, voilà l’âme de monsieur Jourdain à quatre pattes.
Maintenant, supposez qu’il lui dise : « Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour ». Voilà l’esprit debout (et pas sur les pattes de derrière).
Bien sûr ça n’empêche par Monsieur Jourdain de s’exciter pendant ce temps là comme une bête, et de regretter que les mots ne relaient pas la puissance de cet élan. Mais on a ici quelque chose de plus, et ce quelque chose passe par le langage.
Voilà où je voulais en venir : dès qu’il y a pensée, il y a langage. Le langage peut même transmuter l’instinct en pensée, quoiqu’il ne puisse le faire qu’en l’altérant.
Le propre de l’instinct c’est d’être corporel sans médiation : le cri en est une expression bien évidente (1). La pensée peut trouver son origine dans le corps, mais elle suppose toujours une distance, une médiation que le langage ne fait que rendre possible.
Alors, vous les amoureux, ne dites pas que les mots sont trop petits, trop étroits pour l’immensité de votre amour. Vous dites qu’après les mots il n’y a que d’autres mots. Peut-être.
Mais ne le regrettez pas, parce qu’en dehors des mots, il n’y a que le rut.
(1) Dans l’exemple choisi on penserait au brame de cerf (et en effet monsieur Jourdain ne brame pas).
Trouvé ça sur un site d’ami des cerfs :
Le brame du cerf – Au début de l’automne, des cris rauques et profonds retentissent dans la forêt. Le brame est le mot qui désigne à la fois le cri du cerf et la période du rut.
Les deux phénomènes sont très liés.
Le brame se déclenche chez le mâle en présence des femelles et à cause d’une poussée de testostérone (hormone sexuelle).
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