Mon voisin Biais, vieux campagnard tourangeau, 76 ans, peste constamment sur toutes les tuiles que nous vaut la guerre. Il me disait encore ce soir : "Toutes les misères du monde nous sont tombées dessus. Tout ça, pour quelques individus qu'on aurait mieux fait d'écheniller à leur naissance." Je lui ai répondu : "Hé ! Monsieur Biais, on ne pouvait pas savoir. On les trouvait mignons comme les autres. Ils disaient si gentiment papa, maman... Ce qui prouve qu'on ne doit pas faire risette aux nouveau-nés. On ne sait pas ce qu'ils deviendront.
Paul Léautaud – Journal – 6 Juin 1942
Monsieur et Madame Hitler sont heureux de vous faire part de la naissance de leur fils Adolf. (1)
Fallait-il partager leur bonheur ? Un petit enfant, c’est la promesse que l’humanité se régénère dans ce petit d’homme qui sourit à ses parents. Avec Adolf, on a une drôle de régénérescence !
Mais que de présupposés faut-il avaler pour que le dialogue de Léautaud avec son voisin ait un sens…
- D’abord, il faut croire que l’individu porte en lui dès la naissance, les traits de caractères qui feront de lui plus tard l’adulte qu’il va devenir. C’est ainsi que Platon disait qu’on ne devait pas s’attacher aux enfants parce qu’on ne savait pas encore quel adultes ils allaient devenir.
- Ensuite, qu’on a le droit – que dis-je ? le devoir – d’écheniller (2) l’espèce humaine des monstres qu’elle contient.
Supposons un instant que tout cela soit vrai. On a découvert un segment d’ADN – puisque tout passe par là – qui garantit que celui qui le porte va devenir (plus tard, devenu adulte) un Hitler, un Staline, un Pinochet … Le voilà dans son berceau ce petit d’homme. Il est tout rose, il vous sourit, il gazouille en vous tendant ses petits bras potelés. Vous l’étouffez sous son oreiller.
Brrrr…
Au fond, tout ça nous montre les aberrations du déterminisme poussé à ce point. Les êtres vivants en général, et les humains en particuliers sont caractérisés par une marge d’indétermination concernant leurs propriétés originales à venir, et si Adolf Hitler est le monstre que nous avons connu, pensons aussi qu’il ne l’était pas dès le berceau. Peut-être qu’il aurait pu, dans un autre environnement, avec d’autres parents, d’autres éducateurs, d’autres amis, devenir quelqu’un comme l’abbé Pierre.
(1) Ça, c’est la photo d’Hiller enfant. Du moins, c’est ce qu’on m’a dit.
J’avais aussi celle-là.
<--
(2) Echeniller : enlever les parasites qui altèrent une plante. Au figuré : débarrasser quelque chose de ce qui est mauvais, nuisible
2 comments:
Peut-être qu’il aurait pu, dans un autre environnement, avec d’autres parents, d’autres éducateurs, d’autres amis, devenir quelqu’un comme l’abbé Pierre.
C'est exactement le propos du livre d'Éric-Emmanuel Schmitt La Part de l'autre.
Il nous raconte aussi bien la vie (romancé) du vrai Adolf Hitler, et en parallèle, la vie d'un Adolf Hitler qui aurait eu surement plus gout à la vie.
Un très beau livre, qui arrive à nous faire croire que nous sommes aussi un monstre en puissance.
nous sommes aussi un monstre en puissance
- Je crois que c'est une sage précaution que de considérer les choses comme ça.
Ça veut dire que c'est à la civilisation de faire en sorte que les monstres continuent de sommeiller.
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