"Le respect est : Incommodez-vous.
Cela est vain en apparence mais très juste, car c'est dire : je m'incommoderais bien si vous en aviez besoin, puisque je le fais bien sans que cela vous serve, outre que le respect est pour distinguer les grands. Or si le respect était d'être en fauteuil on respecterait tout le monde et ainsi on ne distinguerait pas. Mais étant incommodé on distingue fort bien."
Pascal – Pensées fragment 80 (Lafuma) (1)
Les jeunes des quartiers sont à la recherche du respect : ils affirment que les adultes (à képi en particulier) le leur refuse – seulement voilà, ils oublient le plus souvent de nous dire ce qu’il faudrait faire pour le leur manifester.
Reprenant le discours d’Alain Finkielkraut qui voit dans l’ignorance de la culture classique l’origine de la déchéance de la jeunesse d’aujourd’hui, moi je réponds : lisez Pascal !
« Le respect est : Incommodez-vous. » Autrement dit, pas de respect sans des marques de respect ; et ces marques sont des renoncements à des commodités qu’on s’octroierait bien sans cela.
Un exemple ? «Être en fauteuil » dit Pascal : il faut savoir en effet qu’à la cour de Louis XIV, une étiquette très stricte réglait la façon d’être assis (2) en présence du Roi : on pouvait n’avoir droit qu’au tabouret ; d’autres pouvaient utiliser une chaise. Et les nobles du plus haut rang avaient seuls le droit d’être dans un fauteuil (qu’on appelait parfois la chaise à bras). Si donc le respect avait consisté à s’assoir dans un fauteuil, personne ne serait incommodé, parce que personne ne serait assis sur un tabouret.
Et alors ? Alors, on ne pourrait plus distinguer le rang social ; à respecter ainsi tout le monde, on ne respecte plus personne.
Voilà donc ce qu’il faut répondre à nos jeunes révoltés de Banlieues :
- D’abord, on ne doit pas le même respect à tout le monde, parce que le respect a pour rôle de distinguer dans la société entre ceux qui ont le plus de mérite et ceux qui en ont moins.
- Ensuite, le respect n’est pas du tout ici une marque de déférence due à l’être humain en tant qu’humain, mais un indice de position dans la société («le respect est pour distinguer les grands »).
Est-ce à dire qu’il faut rejeter ce moyen évoqué par Pascal de définir la position sociale ? Quand on sait qu’aujourd’hui cette position est marquée par le gabarit de la voiture – ou la Rolex au poignet – et on se dit que l’étiquette de la cour n’était pas plus bête.(3)
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(1) Voir ici le fragment en question, avec la reconstitution si minutieuse et si érudite du texte effectuée par l’équipe du C.E.R.H.A.C. (Centre International Blaise Pascal). Occasion de voir à quelle difficulté ont été confrontés les premiers éditeurs des Pensées quand il a fallu établir le texte.
(2) Il s’agit bien sûr de ceux qui n’étaient pas tenus de rester debout. Sur tout cela il faut lire les Mémoires de saint Simon.
(3) Et peut-être moins dangereux, parce que la grosse voiture et la Rolex on peut les avoir grâce à l'argent des trafics clandestins.
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