Pourquoi suis-je né si ce n'était pas pour toujours ?
Ionesco – Le Roi se
meurt
Commentaire III
Mortalité – La mort rend-elle la vie absurde ?
Comment faire pour surmonter cette angoisse : quand
je mourrai, rien de ce que j’aurai fait de mon vivant ne me survivra – ou alors
très peu de temps. Alors, à quoi bon vivre ? D’où l’effort de chacun pour
pérenniser son passage sur terre, pour graver dans le marbre une trace de ses
hauts-faits. On évoque souvent à ce propos les Présidents de la Vème
République qui s’ingénient à construire dans Paris des monuments ou des
édifices qui marqueront les mémoires : le Centre Pompidou, la
Grande-Arche, l’Opéra Bastille, Le Musée du Quai Branly… Nicolas Sarkozy manque
à cette liste : c’est sans doute pour cela qu’il veut revenir à l’Elysée.
Oui, comme le suggère le Roi de Ionesco, notre vie
n’échappera à l’absurdité, elle n’aura de valeur ou de signification, qu’à la
condition de durer au-delà de nous-mêmes. Les Anciens grecs eux-mêmes pensaient
que l’immoralité véritable était assurée par la mémoire que les générations
ultérieures conservaient du héros.
o-o-o
Oui, Pourquoi
suis-je né si ce n'était pas pour toujours ?
Si nous ne pouvons raisonnablement espérer un tel destin,
n’y aurait-il pas quelque autre manière de s’immortaliser (ou plutôt « se
sempiternaliser ») ?
--> Demandons aux philosophes matérialistes (les
autres vont nier la mort en lui substituant une vie éternelle) : certains
vous diront que votre vie s’inscrit dans un devenir plus vaste qu’elle-même
mais qu’elle contribue à développer : vous êtes appelé à développer la Science favorable à l’humanité ; ou bien vous êtes pris dans l’Histoire de
la lutte des classes que vous devez faire avancer vers la Révolution ;
ou vous êtes un combattant de la Liberté, destiné à une lutte qui ne doit
jamais s’arrêter ni jamais finir. Si rien de tout cela ne vous parait crédible,
plus modestement vous pouvez vous imaginer en passeur : celui qui transmets les coutumes, la culture – voire
même, plus modestement, les gènes de l’espèce : vous voilà responsable de
l’humanité toute entière. (1)
D’autres vous diront que c’est votre vie elle-même – celle
qui est comprise entre votre naissance et votre mort – qui est l’œuvre
susceptible de donner un sens à chacun de vos instants : comme pour
Bergson, pour qui la vie est constituée d’une seule durée présente qui n’a
de sens que vue dans la perspective de sa totalité ; ou comme Proust, pour
qui la vie est une œuvre d’art. A vous de l’inventer votre vie, de la
construire et d’y intégrer les accidents qui vous échoient.
Et de même, les existentialistes qui disent que votre existence précède votre essence :
oui, en effet – mais il y a bien quand même une essence… quelque part !
Ça
ne vous plait pas ? Alors rentrez dans le troupeau des pourceaux
d’Epicure, et allez fourrer votre groin dans la fange : là vous
direz : « C’est bon pour ma pomme et tant pis pour les autres. »
Mais là, ce sera à nous de dire : « Celui-là, heureusement qu’il n’est pas né
pour toujours ! »
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(1) Comme le disait Rabelais, « La tête perdue, ne
périt que la personne ; les couilles perdues périrait toute humaine
nature. » Voir ici.
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