Une femme qui sait le grec est si peu
femme qu'elle pourrait aussi bien avoir une barbe.
Kant
– Observations sur le sentiment du beau et du sublime (1764)
Sur les femmes à barbe, nous avons tout
dit – ou presque (c’est ici).
Mais, sur la façon pour les femmes
d’avoir une barbe, il reste encore des précisions à apporter : dans le
Post référencé, c’est par un miracle divin que Sainte-Wilgeforte obtient la
sienne. Mais tout le monde n’a pas cette chance et aujourd’hui ce genre de
chose n’arrive plus : on recourrait plutôt aux hormones. Or, voici que
Kant nous ouvre de nouveaux horizons : il suffirait que les femmes
apprennent le grec, ce qui à son époque devait constituer le comble de la
culture.
Passons sur cette remarque, chacun doit
déjà l’avoir rejetée depuis longtemps (Jacqueline de Romilly ne se rasait pas chaque matin quand même !). Reste que l’idée de Kant est
troublante : il se pourrait donc que des femmes puissent devenir des
hommes, et tout cela par le choix d’existence qu’elles auraient fait ?
Mais alors ? Est-ce à dire que la « Théorie du genre » était déjà connue au 18ème
siècle ?
J’aime à imaginer que si cette théorie
elle était déjà pensable, elle n’était pas encore vraiment pensée. Je veux dire
qu’on n’arrivait sûrement pas à imaginer que les femmes puissent se viriliser,
mais plutôt qu’elles risquaient de perdre leur féminité, sans acquérir pour
cela une virilité véritable. D’ailleurs le cas du Chevalier d’Eon est resté suspicieux : était-ce une femme
transformée en homme ou bien un homme véritablement femme ? On démystifie
aujourd’hui le cas : c’était un travelo et basta ! Dommage ! Car
cette oscillation sur la frontière féminité/virilité est plus éclairante :
femmes, apprenez le grec, et devenez un être hybride. On dirait presque qu’il y
a un désir non de passer de l’autre côté de la frontière du genre, mais plutôt
de rester sur la frontière, un peu comme Voltaire à Ferney un pied en Suisse,
un autre en France.
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