Monday, September 08, 2014

Citation du 9 septembre 2014



Si tu ne m'aimes pas, je t'aime / Si je t'aime prends garde à toi.
La Habanera de l’opéra Carmen de Georges Bizet
Lirons-nous le livre de Valérie Trierweiler sur sa vie intime en compagnie de François Hollande ? Après tout, c’est une affaire privée, qui concerne un couple et seulement lui. Quoique… La souffrance de madame Trierweiler nous concerne parce que nous pouvons tous faire partie des victimes de la désillusion amoureuse : Si tu ne m'aimes pas, je t'aime / Si je t'aime prends garde à toi : ainsi chante Carmen. Ce livre ne nous met pas seulement en garde contre l’illusion amoureuse ; il nous dit aussi de nous méfier des êtres qui nous aiment et que nous trahissons. L’amoureuse déçue est particulièrement dangereuse, et on peut penser que sans cette blessure et cette volonté de vengeance le livre de madame Trierweiler n’aurait pas vu le jour.
o-o-o
Dans l’amour déçu, il peut y avoir deux déceptions cumulées : l’une, d’avoir perdu l’être que nous aimions ; l’autre d’avoir été abandonné au profit de quelqu’un d’autre.
Et si en perdant cet amour nous n’avions pas perdu tant que ça ? Pensons à Spinoza : l’amour n’est qu’une opinion, susceptible de changer avec le temps : « s'il arrive, comme cela est fréquent, [que nous rencontrions] un autre bien qui [nous] paraisse meilleur que le précédent, alors [notre] amour se tourne sur l'heure du premier vers le second… » Croire en l’Amour absolu-éternel est une illusion à porter au compte de l’impatience humaine désireuse de se prononcer sur l’infini. Ainsi, l’inconstance de l’amour est inscrite dans sa nature qui, dès le départ, nait d’une appréciation sans rigueur : « cette femme (cet homme) est la meilleure de toutes, parce qu’elle me parait être telle ». Croisons-nous en chemin une autre femme (un autre homme) doué de qualités supérieures ? Nous voici partis vers lui – que ce soit nuitamment et en scooter n’a rien d’étonnant.
Mais à quoi bon dénoncer l’illusion amoureuse ? L’amour déçu reste quoi qu’il en soit  une terrible souffrance. Pourquoi la jalousie ? Pourquoi cette fureur vengeresse que nous retrouvons dans les pages de ce livre ? Après tout nous pourrions dire à madame Trierweiler : « Ce monsieur vous a abandonnée, mais il avait aussi abandonné sa compagne qui vivait avec lui depuis 20 ans – et qui, de plus, était  la mère de ses enfants – pour venir avec vous. Qu’il vous délaisse à votre tour pour rejoindre une actrice de cinéma, quoi de plus banal ? Vous souffrez parce que vous l’aimiez et vous n’avez pas trouvé un monsieur qui le vaille pour le remplacer ? Pourtant, compte tenu de ce que vous en dites, ce ne devrait pas être trop difficile… »
Mais quoi ? Devons-nous continuer sur ce ton, en oubliant que l’amour ne relève pas du calcul rationnel, qu’on ne peut le raisonner ni le déplacer d’objet en objet, comme un investissement financier. Le ton consolateur du philosophe est indécent confronté à cette souffrance.
C’est qu’on oublie que l’amour est désir, et que le désir est investi d’une force extraordinaire. Et que l’illusion dénoncée par Spinoza est sans doute beaucoup plus forte qu’on pourrait le croire. C’est Kant qui l’a le mieux formulé : parce que l’amour est désir, lorsque j’aime, je suis persuadé que cet être adoré doit être lié à moi, qu’il est fait pour cela. C’est la force de ce désir qui crée la certitude que ce lien est indéfectible. Le rompre, ce ne serait pas seulement séparer un être d’un autre, ce serait détruire cet être-à-deux qu’il constituait.
On risque alors ou le suicide (Madame Trierweiler a été hospitalisée après la révélation de son infortune pour avoir abusé de comprimés mortifères), ou le meurtre : n’est-ce pas justement ce que tente de faire ce livre ?

2 comments:

Anonymous said...

Bonjour Jean-Pierre,

Merci pour cette suite. Bien que les fredaines de nos politiciens ne nous passionnent guère, elles illustrent cependant très bien votre commentaire.

Bonne journée; :-)

Fany

Jean-Pierre Hamel said...

Oui, on reste dans le domaine de la passion et non de la politique.
Mais la politique n'est pas bien loin...

Amicalement
J-P