Si tu ne m'aimes pas, je t'aime / Si je
t'aime prends garde à toi.
La Habanera de l’opéra Carmen de Georges
Bizet
Lirons-nous le livre de Valérie
Trierweiler sur sa vie intime en compagnie de François Hollande ? Après
tout, c’est une affaire privée, qui concerne un couple et seulement lui.
Quoique… La souffrance de madame Trierweiler nous concerne parce que nous
pouvons tous faire partie des victimes de la désillusion amoureuse : Si tu ne m'aimes pas, je t'aime / Si je
t'aime prends garde à toi : ainsi chante Carmen. Ce livre ne nous met pas seulement en garde contre l’illusion
amoureuse ; il nous dit aussi de nous méfier des
êtres qui nous aiment et que nous trahissons. L’amoureuse déçue est
particulièrement dangereuse, et on peut penser que sans cette blessure et cette
volonté de vengeance le livre de madame Trierweiler n’aurait pas vu le jour.
o-o-o
Dans l’amour déçu, il peut y avoir deux
déceptions cumulées : l’une, d’avoir perdu l’être que nous aimions ;
l’autre d’avoir été abandonné au profit de quelqu’un d’autre.
Et si en perdant cet amour nous n’avions
pas perdu tant que ça ? Pensons à Spinoza : l’amour n’est qu’une
opinion, susceptible de changer avec le temps : « s'il arrive, comme cela est fréquent, [que
nous rencontrions] un autre bien qui [nous] paraisse meilleur que le précédent,
alors [notre] amour se tourne sur l'heure du premier vers le second… »
Croire en l’Amour absolu-éternel est une illusion à porter au compte de
l’impatience humaine désireuse de se prononcer sur l’infini. Ainsi, l’inconstance de l’amour est
inscrite dans sa nature qui, dès le départ, nait d’une appréciation sans
rigueur : « cette femme (cet homme) est la meilleure de toutes, parce
qu’elle me parait être telle ». Croisons-nous en chemin une autre femme
(un autre homme) doué de qualités supérieures ? Nous voici partis vers lui
– que ce soit nuitamment et en scooter n’a rien d’étonnant.
Mais à quoi bon dénoncer l’illusion
amoureuse ? L’amour déçu reste quoi qu’il en soit une terrible souffrance. Pourquoi la
jalousie ? Pourquoi cette fureur vengeresse que nous retrouvons dans les
pages de ce livre ? Après tout nous pourrions dire à madame
Trierweiler : « Ce monsieur vous a abandonnée, mais il avait aussi
abandonné sa compagne qui vivait avec lui depuis 20 ans – et qui, de plus,
était la mère de ses enfants – pour
venir avec vous. Qu’il vous délaisse à votre tour pour rejoindre une actrice de
cinéma, quoi de plus banal ? Vous souffrez parce que vous l’aimiez et vous
n’avez pas trouvé un monsieur qui le vaille pour le remplacer ? Pourtant,
compte tenu de ce que vous en dites, ce ne devrait pas être trop
difficile… »
Mais quoi ? Devons-nous continuer
sur ce ton, en oubliant que l’amour ne relève pas du calcul rationnel, qu’on ne
peut le raisonner ni le déplacer d’objet en objet, comme un investissement
financier. Le ton consolateur du philosophe est indécent confronté à cette
souffrance.
C’est qu’on oublie que l’amour est désir, et que le désir est investi
d’une force extraordinaire. Et que l’illusion dénoncée par Spinoza est sans
doute beaucoup plus forte qu’on pourrait le croire. C’est Kant qui l’a le mieux
formulé : parce que l’amour est désir, lorsque j’aime, je suis persuadé que
cet être adoré doit
être lié à moi, qu’il est fait pour cela. C’est la force de ce désir qui crée
la certitude que ce lien est indéfectible. Le rompre, ce ne serait pas
seulement séparer un être d’un autre, ce serait détruire cet être-à-deux qu’il constituait.
On risque alors ou le suicide (Madame
Trierweiler a été hospitalisée après la révélation de son infortune pour avoir
abusé de comprimés mortifères), ou le meurtre : n’est-ce pas justement ce
que tente de faire ce livre ?
2 comments:
Bonjour Jean-Pierre,
Merci pour cette suite. Bien que les fredaines de nos politiciens ne nous passionnent guère, elles illustrent cependant très bien votre commentaire.
Bonne journée; :-)
Fany
Oui, on reste dans le domaine de la passion et non de la politique.
Mais la politique n'est pas bien loin...
Amicalement
J-P
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