L'Ours allait à la chasse, apportait du gibier, / Faisait son principal métier / D'être bon émoucheur, écartait du visage / De son ami dormant, ce parasite ailé, / Que nous avons mouche appelé. / Un jour que le vieillard dormait d'un profond somme, / Sur le bout de son nez une allant se placer / Mit l'Ours au désespoir, il eut beau la chasser. / Je t'attraperai bien, dit-il. Et voici comme. / Aussitôt fait que dit ; le fidèle émoucheur / Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur, / Casse la tête à l'homme en écrasant la mouche, / Et non moins bon archer que mauvais raisonneur : / Roide mort étendu sur la place il le couche. / Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami ; / Mieux vaudrait un sage ennemi.
La Fontaine –L'Ours et l'Amateur des Jardins
L’ours est mauvais raisonneur, mais il raisonne quand même.
Vincent Descombes a consacré un essai au Raisonnement de l’ours (1) : de quelle façon l’ours raisonne-t-il, et quel raisonnement lui aurait permis de savoir qu’il ne devait pas chasser la mouche au prix du fracassement de la tête de son ami ?
Voici le raisonnement de l’ours :
- L’émoucheur doit toujours émoucher ;
- Tuer la mouche avec un pavé est dans le cas présent la seule façon d’émoucher ;
- Donc l’émoucheur doit empoigner un pavé et le lancer avec roideur.
On peut savoir à quel principe un acte se rattache ; mais étant donné un principe, savons-nous quel acte nous devons accomplir ? Une telle opération s’appelle une déduction pratique. Le raisonnement de l’ours, que nous venons d’exposer, en est un exemple.
Vincent Descombes montre qu’une telle déduction est une absurdité, dans la mesure où elle pose un acte non comme une possibilité mais comme une nécessité. Si par exemple on posait comme principe qu’il faut faire tout ce qui peut nous éviter un accident de la route, et que nous puissions, pour éviter un tel accident, tourner à droite ou bien tourner à gauche, alors il nous faudrait et tourner à droite, et tourner à gauche.
Au risque de décourager ceux qui croient encore qu’avec des principes on peut faire face à toutes les situations, disons qu’il n’existe pas de règles générales et positives de la forme : « Fais toujours x » (où x décrit un acte particulier).
Les seules règles générales qui soient toujours applicables sont les règles négatives qui ne prescrivent pas les actions à faire mais celles qu’il faut éviter (exemple pour l’ours : quoique tu fasses, l’émouchage ne doit pas conduire à la mort de ton ami). Une telle règle est un précepte qui ne permet pas de choisir dans le champ des possibles, mais qui le restreint.
Dans le genre Décalogue.
(1) Vincent Descombes – Le raisonnement de l’ours (2007), p. 85 et s.
2 comments:
Bonjour,
Votre post me fait furieusement penser aux trois lois de la robotique d'Asimov (cf ici).
On peut savoir à quel principe un acte se rattache [...]
Pour un acte déjà accompli pourquoi pas, mais pour un acte non réalisé, j'ai quelques doutes à ce sujet personnellement.
Je pense qu'analyser les conséquences d'un acte non effectué et donc pouvoir le classer dans un principe est autrement plus compliqué que ce que vous semblez croire.
Les conséquences de l'acte de l'ours, sont difficile à prévoir, car ça dépends de la masse de la pierre, de la force à laquelle il l'envoie, de la solidité du crâne de l'homme, et autres élément plus ou moins prévisible.
Ainsi son classement par principe est tout aussi difficile à déterminer. Imaginer qu'il lance un gros bloc de mousse: ça devrai suffire à tuer la mouche et l'homme n'aura même pas une bosse.
Après jusqu'à quel niveaux de répercussions devons descendre?
Sans parler que chaque évènement peut avoir un effet papilon.
" Je pense qu'analyser les conséquences d'un acte non effectué et donc pouvoir le classer dans un principe est autrement plus compliqué que ce que vous semblez croire."
- Sans doute et la référence faite plus bas à l’effet papillon en témoigne.
Toutefois nous sommes ici dans des cas où l’acte est considéré dans son con texte immédiat. Car autrement, il est vrai que les conséquences lointaines en sont très incertaines, compte tenu de la durée pendant la quelle ses retombées sont possibles. Mais alors plus aucun principe n’aurait de valeur, et on ferait n’importe quoi, laissant au hasard, à la nature ou au destin le soin d’en décider.
"Les conséquences de l'acte de l'ours, sont difficile à prévoir, car ça dépends de la masse de la pierre, de la force à laquelle il l'envoie, de la solidité du crâne de l'homme, et autres élément plus ou moins prévisible."
- Ici encore, l’ours ne se pose pas la question, sinon il n’y aurait plus de problème ! Car l’ours ne se demande pas « il y a-t-il un risque de tuer le dormeur », mais seulement « comment faire pour tuer la mouche »
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