Le roi de Prusse, qui ne laisse pas d'avoir employé son temps, dit qu'il n'y a peut-être pas d'homme qui ait fait la moitié de ce qu'il aurait pu faire.
Chamfort – Maximes et Pensées
Vous venez de vous lever et vous vous sentez parfaitement heureux et détendu ? Ignorant que vous êtes ! Lisez Chamfort et vous serez lucides et malheureux : car vous allez réaliser tout ce que vous avez gâché au cours de votre existence et d’abord tout ce temps où vous n’avez rien fait de votre vie…
Parce qu’au lieu de se demander (comme hier) comment retenir ou accélérer le temps, il vaudrait mieux se demander comment l’utiliser au mieux. Et c’est là que Chamfort nous assassine : quoique vous fassiez, dites-vous que vous avez perdu au moins en partie votre temps, autrement dit que vous avez gâché un peu de votre vie.
Petit manuel de désespérance : chaque soir, avant de vous coucher, récapitulez ce que vous avez fait de votre journée, et demandez-vous si vous n’auriez pas pu l’employer de meilleure façon. Au cas où vous seriez encore content de vous, demandez-vous alors non pas ce que vous aviez à faire, mais ce que vous auriez pu faire. Là c’est imparable : on peut toujours faire mieux – ou au moins faire plus. C’est bien connu.
… Mais enfin je me demande, tout compte fait, s’il faut vraiment s’en désoler. Car le roi de Prusse, qu’a-t-il fait de son temps ? Il a fait la guerre. S’il avait mieux employé son temps qu’aurait-il fait de plus ? Encore plus de guerre, c’est sûr.
Alors, c’est vrai : on pourrait penser que ceux qui ont fait don de leur vie pour servir les pauvres gens pourraient en faire d’avantage, ça ne désolerait personne. Mais qui peut dire que « plus » ce serait « mieux » ? N’y a-t-il pas un équilibre qui une fois trouvé ne doit pas être modifié ? Une ligne de plus à l’Iliade, un vers de plus aux Fleurs du mal, et ça aurait fichu tout par terre.
Plus simplement, voyez Napoléon : son retour de l’ile d’Elbe, les Cent jours, la bataille de Waterloo : c’est de trop. Ça gâche l’image de l’Empereur invincible.
Sachons-nous arrêter à temps. C’est d’ailleurs à ça que menait la devise de la sagesse des grecs : Meden agan (Rien de trop), disaient-ils pour valoriser le Juste milieu. (1)
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(1) Medèn agan - Rien de trop. Maxime inscrite sur le temple de Delphes incite les hommes à garder la juste mesure en toutes choses
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