On le méconnaît, à mon avis, ce petit trou, on l’appelle celui du cul et on affecte de le mépriser. Mais ne serait-il pas plutôt le vrai portail de l’être, dont la célèbre bouche ne serait que l’entrée de service ?
Samuel Beckett – Molloy (p. 107)
Le Blason anatomique (1) abordait le cul (excusez la formule, elle est indispensable) sous l’angle esthético-érotique. Beckett, lui, n’y va pas par quatre chemins : ce « trou » est le portail de l’être : on est (comme avec Sartre) dans le domaine de l’ontologie – pour ne pas dire de la métaphysique.
Je ne décrirai pas les raisons par lesquelles Beckett justifie son affirmation (qu’on se reporte à son ouvrage). Je me bornerai à dire qu’il honore cet organe pour son fonctionnement autiste qu’il juge révélateur de Molloy, l’homme dont il décrit l’existence : rien n’y entre et rien de valeur n’en sort.
Mais je retiendrai d’avantage l’inversion de valeur entre la bouche et l’anus. Car je retrouve ici ce que Luis Buñuel montrait dans Le charme discret de la bourgeoisie. Il imaginait en effet dans une séquence de ce film, qu’un jour on inverse les usages, et qu’ainsi on se réunisse entre amis, autour d’une table pour prendre place sur des W.C. après avoir baissé sa culotte, mais qu’en revanche on s’enferme, seul dans une petite pièce, pour prendre son assiette et manger.
D’ailleurs voyez l’extrait en question (2), et je n’en dirai pas plus.
… Si tout de même : vous risquez, après avoir (re)vu cette séquence, d’avoir de drôles d’idées en vous mettant autour d’une table de restaurant avec des amis.
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(1) Voir ici.
(2) La seule version que j’aie trouvée sur Internet est doublée en allemand. Mais après tout ce n’est pas plus mal : ça ajoute à son étrangeté.
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