Saturday, February 19, 2011

Citation du 20 février 2011

Rien ne se fait par le calme : on n'ose qu'en révolution.

Ernest Renan – L'Avenir de la science, Pensées de 1848 (1890) (Voir texte en annexe)

On s’étonne sans doute de voir ces révolutions qui font tomber des régimes corrompus et dictatoriaux dans les pays arabes. On s’étonne de ne rien avoir vu venir, et ne n’y rien comprendre. Quoi ? Ce sont des pays arabes ? Et ils ont fait la révolution sans avoir demandé à leurs imams si ça convenait ? (1)

On se contente en songeant que le mot d’ordre a été : « Ben Ali [Moubarak] dégage ! » en français sur les pancartes :

- Ah Ah… ils ont appris la révolution de nos Lumières

Soyons sérieux : il y a des réalités dans la vie sociale et politique d’un pays qui relèvent des circonstances et de l’action des hommes et que rien d’autre ne permet d’expliquer vraiment.

Renan le dit fortement : ce ne sont pas les idées des intellectuels qui font la révolution (même si leur existence est nécessaire) ; expliquer quelles sont les preuves de la corruption des dirigeants et clamer que la justice commande qu’ils s’en aillent (« Dégage ! ») ne suffit pas. Il faut en plus la présence physique des manifestants dans la rue, leur poitrine faisant barrage devant les policiers, leurs clameurs qui résonnent dans la ville.

Voilà pourquoi ce n’est pas à coup de pétitions qu’on aura gain de cause dans de telles circonstances. De même les réseaux tissés par Tweeter et Facebook n’ont d’utilité ici que s’ils coordonnent les foules à l’abri de l’oreille du tyran.

Maintenant, Renan dit encore autre chose : l’action révolutionnaire est destruction – elle est donc toujours violente. Les institutions ne tombent pas d’elles-mêmes ; il faut toujours les pousser un peu. Ben Ali avait annoncé sa future candidature aux élections de 2014, et Moubarak avait placé son fils sur orbite pour être élu à sa place dès cette année. Le temps calme ne change rien : il faut la tempête.

Un souvenir : en mai 68 les étudiants de la Sorbonne prétendaient que la révolution (prolétarienne) était commencée. Un jour un étudiant polonais pris la parole dans un débat :

- Vous voulez faire la révolution ? Vous êtes donc prêt à prendre un fusil et à tirer sur des hommes dans la rue ?

Un silence gêné fut la seule réponse qu’il obtint.

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Annexe :

« Les révolutions seules savent détruire les institutions depuis longtemps condamnées. En temps de calme, on ne peut se résoudre à frapper, lors même que ce qu'on frappe n'a plus de raison d'être. Ceux qui croient que la rénovation qui avait été nécessitée par tout le travail intellectuel du XVIIIe siècle eût pu se faire pacifiquement se trompent. On eût cherché à pactiser, on se fût arrêté à mille considérations personnelles, qui en temps de calme sont fort prisées ; on n'eût osé détruire franchement ni les privilèges ni les ordres religieux, ni tant d'autres abus. La tempête s'en charge. Le pouvoir temporel des papes est assurément périmé. Eh bien ! tout le monde en serait persuadé qu'on ne se déciderait point encore à balayer cette ruine. Il faudrait attendre pour cela le prochain tremblement de terre. Rien ne se fait par le calme : on n'ose qu'en révolution. » Ernest Renan – L'Avenir de la science, Pensées de 1848 (1890)

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(1) J’ai écrit ces lignes il y a quelques jours, alors que seuls les régimes tunisien et égyptien étaient contestés.

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