Les nationalistes algériens ont peut-être perdu toutes les batailles sur le terrain, ils ont gagné la guerre, puisque le gouvernement français a reconnu que leur revendication était juste…
Raymond Aron – Mémoires (p. 385)
Aron cite ici, dans ses Mémoires, un texte qu’il écrivit sans doute en 1961, peu avant les accords d’Evian accordant à l’Algérie son indépendance.
On songe que le général de Gaulle, alors Président de la République, aurait pu, reprenant l’Appel du 18 juin, formuler cet aphorisme : le FLN a perdu toutes ses batailles, mais il a gagné la guerre…
On se demande du coup : qu’est-ce que c’est qu’une guerre, si ce n’est pas une somme de batailles ? Et puis, aussi : dans ce cas ne pourrait-on pas faire l’économie de la guerre ? Déclarons d’entrée de jeu qu’on est prêt à perdre toutes les batailles, mais que pour autant on estime avoir gagné la guerre…
Reportons-nous à la « tragédie algérienne » : en 1961 la « pacification » avait réussi et l’armée française avait gagné la guerre sur le terrain.
Toutefois, des intellectuels comme Raymond Aron avaient affirmé dès 1957 (1) que non seulement l’Etat algérien indépendant verrait le jour inexorablement, mais même que le retour en France continentale des français d’Algérie serait inévitable. Au point qu’il suggérait (il s’agissait alors d’un rapport confidentiel à l’intention de Guy Mollet – nous sommes en 1956 !) de consacrer les crédits prévus pour la « pacification » aux dispositions à prendre pour accueillir les Pied-noirs de retour en France.
Qu’une guerre, même gagnée sur le terrain soit en réalité perdue en dit long sur sa nature.
Car, même si la réalité du peuple algérien, sa culture, sa religion, sa démographies, etc. condamnaient d’avance toutes les solutions envisagées pour garder l’Algérie dans la France, on ne doit pas oublier qu’il y avait aussi les pressions internationales et les condamnations de l’ONU.
On demandait plus haut : qu’est-ce que la guerre si ce n’est pas simplement une somme de batailles ? On doit répondre ici : comme Clausewitz on doit dire que la guerre est la continuation de la diplomatie par d’autres moyens. Mais on ne doit pas oublier que la réciproque est vraie : la diplomatie est un élément de « pilotage » de la guerre ; il doit y avoir circulation entre les deux champs – le champ de bataille et celui des négociations.
En 1961, le France avait gagné la guerre sur le champ de bataille, mais elle l’avait perdue sur le terrain diplomatique.
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(1) Raymond ARON - La Tragédie algérienne, ouvrage qui fit scandale lors de sa publication en 1957 – Le chapitre concernant l’issue de la guerre reprend un rapport de 1956.
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