Thursday, December 01, 2011

Citation du 2 décembre 2011

Tout est soi et autre chose ; l’image dans l’image, le mot dans le mot.

Théodore Roszak – Les Mémoires d’Elizabeth Frankenstein

Commentaire II – Le mot dans le mot.

Là encore (comme hier pour l’« image dans l’image ») j’ai quelque difficulté à comprendre ce que veut dire notre auteur.

Les mots seraient-ils comme des poupées russes, avec une enfilade de mots enchâssés dans leurs entrailles et que délivrerait leur manipulation ? Cela peut-il se concevoir, alors que la linguistique nous enseigne que la langue ne peut, au contraire, fonctionner qu’avec un système d’opposition ? Saussure estime en effet que, s’il faut plusieurs mots pour signifier quelque chose, ces mots doivent être juxtaposés et non imbriqués les uns dans les autres (1).

On dira peut-être que chaque mot a plusieurs significations énumérées par les dictionnaires dont c’est justement la fonction d’en dénombrer la variété : il suffit pour s’en rendre compte d’ouvrir le Littré et d’y trouver, soigneusement répertoriés et numérotés, les nombreux sens de chaque mot de la langue française. Mais cette variété n’est pas celle de plusieurs mots, mais de plusieurs significations, réparties au cours de l’histoire de la langue, ou bien appelées par le contexte.

--> La coexistence de plusieurs significations dans un seul mot pris isolément n’existe pas pour Saussure, parce qu’il n’est pas poète. Car le poète, justement, est celui qui entend plusieurs mots dans le mot – je dis bien plusieurs mots et non pas plusieurs significations.

Le mot dans le mot ? Disons plutôt les mots dans le mot. Ecoutez Sartre :

« Florence est ville et fleur et femme, elle est ville-fleur et ville-femme et fille-fleur tout à la fois. Et l'étrange objet qui paraît ainsi possède la liquidité du fleuve, la douce ardeur fauve de l'or et, pour finir, s'abandonne avec décence et prolonge indéfiniment par l'affaiblissement continu de l'e muet son épanouissement plein de réserves. A cela s'ajoute l'effort insidieux de la biographie. Pour moi, Florence est aussi une certaine femme, une actrice américaine qui jouait dans les films muets de mon enfance et dont j'ai tout oublié sauf qu'elle était longue comme un long gant de bal et toujours chaste, et toujours mariée et incomprise, et que je l'aimais, et qu'elle s'appelait Florence. » Jean-Paul Sartre – Qu'est-ce que la littérature ? (1948).

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(1) «dans la langue, il n'y a que des différences » écrit Saussure dans son Cours de linguistique générale (p. 166). Lire ici

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