Ne combat jamais un homme qui n’a rien à perdre.
Baltasar Gracian
Voilà une sentence bien sentie, du genre de celle qui va nous reposer pour être en bonne forme avant d’affronter les réjouissances du Réveillon.
Car enfin, quoi de plus évident que de dire que l’homme qui n’a rien à perdre, ne craint rien de son adversaire : que pourrait-il lui ôter qu’il ne lui ait déjà pris ? Et donc le voilà intrépide au combat, prêt à lutter jusqu’à la mort – rien ne pourra le faire capituler.
Toutefois, on se sent un peu dubitatif : un tel homme existe-t-il ? Le plus démuni d’entre tous n’a-t-il pas encore à perdre la vie, le seul bien qui lui reste – mais un bien qui lui reste quand même.
Et puis, même : si un tel homme existait on admet par hypothèse qu’il continue de combattre : c’est donc qu’il possède encore l’espoir – espoir d’abattre son ennemi pour reconquérir quelque chose de ses conditions d’existence, ou bien même seulement pour en tirer vengeance.
Raisonnons sur un exemple : on a célébré récemment l’acte de désespoir de Mohamed Bouazizi qui, il y a un an, s’immolait par le feu en Tunisie, déclenchant du même coup les émeutes qui ont conduit à la chute du régime. Il semble bien que dans ce cas, oui : un tel homme n’avait rien à perdre et du coup son geste, manifestant que le régime du Président ben Ali privait les citoyens de tout espoir, a entrainé le peuple dans la révolte.
On aimerait croire que cet homme a voulu par son geste faire ce qui s’est réalisé ensuite, et que depuis le petit coin de Paradis où on l’espère installé, il contemple avec satisfaction la Tunisie d’aujourd’hui.
Mais, qu’en savons-nous ? Même en laissant de côté l’orientation que parait prendre aujourd’hui la Tunisie démocratique, que savons-nous de ce que souhaitait Mohamed Bouazizi ? Qu’est-ce que « souhaite » un homme qui se suicide ? Le terme de souhait n’est-il pas déjà une injure faite à sa mémoire ?
Bon, j’arrête là : on voit que le repos souhaité n’est pas au rendez-vous…
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