[…] Progrès dont on se demande « Où va-t-il ? que veut-il ? » / Qui brise la jeunesse en fleur ! Qui donne, en somme, / Une âme à la machine et la retire à l'homme !
Victor Hugo, Melancholia 1838 (date de sa composition probable, sa publication dans recueil des Contemplations étant de 1856)
La machine d'arithmétique fait des effets qui approchent plus de la pensée que tout ce que font les animaux ; mais elle ne fait rien qui puisse faire dire qu'elle a de la volonté, comme les animaux.
Blaise Pascal – Pensées n° 627 (Le Guern)
Melancholia 2 –
Le Progrès […] donne une âme aux machines et la retire à l’homme!
Il y a deux façons d’entendre cette phrase :
- A la façon de Hugo : la machine est une broyeuse d’hommes parce que c’est sur ses rythmes que se règle la cadence infernale du travail – l’homme est devenu un si un simple pourvoyeur qui l’alimente. Tout au long du 19ème siècle on retrouve cette déploration (il n’est que de lire quelques pages du Capital pour s’en convaincre).
- A la façon de Pascal : les performances de la machines en font un véritable double de l’homme y compris – et surtout – dans ses fonctions les plus élevées : la pensée.
Cela nous l’avons rencontré souvent il y a quelques années, et ce fut une angoisse des années 90, alimentée par la machine d’IBM, Deep Blue, capables de battre aux échecs le champion du monde de l’époque.
Bien sûr l’originalité de notre citation est de montrer que cette inquiétude était déjà perceptible à l’époque de Pascal et de sa machine à calculer.
Maintenant, remontez quelques lignes plus haut : j’ai écrit : « angoisse des années 90 » : donc plus d’inquiétude devant les performances de la machine ? N’est-elle plus notre rivale ? Ne menace-t-elle pas notre prééminence sur la Création, ne risque-t-elle pas de prendre un jour le pouvoir, comme HAL 9000 dans le film de Kubrick ?
Voyez un peu ce qui se passe avec le nouvel iPhone 4S, qui dispose d’une commande vocale qui semble particulièrement performante : vous pouvez lui demander l’adresse de la boulangerie la plus proche, et votre iPhone vous répond ! Non seulement il vous a compris, non seulement il a une liste des boulangeries du coin, mais encore il sait où vous êtes (GPS) et en plus il sait vous répondre (1). Et que font les gens devant tant de science ? Vont-ils s’énerver que cette machine sache tout (et d’abord qu’elle les piste au GPS), qu’elle « comprenne » leur langue, qu’elle leur « réponde » avec à-propos (qu’on se rappelle que pour Descartes les paroles, ou autres signes faits à propos des sujets qui se présentent sont le signe que les hommes ont une âme (2)) ?
Vont-ils la jeter par la fenêtre ou – pour le moins – débrancher ses batteries ?
Pas du tout ! Ils vont dialoguer avec leur iPhone 4S comme ils le feraient avec une amoureuse : en le posant sur leur oreiller…
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(1) Pour ceux qui n’aurait pas encore un iPhone 4S dans leur poche (celle de la chemise – tout contre leur cœur), les journalistes du Figaro ont mis en ligne le test de leur machine. Voyez ça.
(2) Descartes, lettre au Marquis de Newcastle, du 23 novembre 1646
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