Partout des robots obéissant à des
ordinateurs prennent la place des hommes. Ils ne tombent guère malades, ils ne
sont pas syndiqués, ils n'ont pas d'état d'âme ; la lutte est inégale. Dans une
société menée par la compétition, la machine remplace l'homme, et l'homme n'a
plus d'utilité. Il n'est même plus nécessaire d'exploiter les travailleurs ; il
suffit de se passer d'eux. A l'exploitation a succédé l'exclusion. Comment
imaginer que des sociétés puissent rester paisibles quand une foule d'hommes et
de femmes s'entendent dire qu'ils sont de trop ? Avec la définition de l'homme
que nous avons adopté, chacun devient lui-même au foyer du regard des autres :
pour faire un homme, il faut des hommes Aucun ne peut donc être de trop, toute
élimination de l'un est une déperdition pour tous.
Albert
Jacquard J'accuse l'économie
triomphante, p.32-33.
Ce texte est un peu long,
décomposons-le :
1 – « Partout des robots obéissant
à des ordinateurs prennent la place des hommes. Ils ne tombent guère malades,
ils ne sont pas syndiqués, ils n'ont pas d'état d'âme ; la lutte est inégale.
Dans une société menée par la compétition, la machine remplace l'homme, et
l'homme n'a plus d'utilité. »
2 – « Il n'est même plus nécessaire
d'exploiter les travailleurs ; il suffit de se passer d'eux. A l'exploitation a
succédé l'exclusion. Comment imaginer que des sociétés puissent rester
paisibles quand une foule d'hommes et de femmes s'entendent dire qu'ils sont de
trop ? »
3 – « Avec la définition de l'homme
que nous avons adopté, chacun devient lui-même au foyer du regard des autres :
pour faire un homme, il faut des hommes Aucun ne peut donc être de trop, toute
élimination de l'un est une déperdition pour tous. »
o-o-o
Maintenant, analysons :
L’idée ramenée à son ultime
aboutissement est relativement simple : l’utilité de chaque homme est de
contribuer à l’existence de tous les autres ; on a donc besoin de tous et
de chacun.
Ça, c’est ce que tout le monde
pense ; seulement on croit que c’est par son travail que l’individu est
utile à la communauté – d’où le problème posé par la machine rivale du
travailleur. D’où aussi le désespoir du chômeur à qui on dit :
« Fiche le camp, on n’a plus besoin de toi. Tiens prends quand même ton
indemnité : on ne va pas te laisser mourir de faim ! » (1)
Non – La nécessité pour nous d’être
entouré d’autres hommes, c’est que « chacun
devient lui-même au foyer du regard des autres : pour faire un homme, il faut
des hommes ».
Et là, aucune machine ne peut remplacer
l’être humain.
o-o-o
Et alors : qu’en pensons-nous ?
Vous, je ne sais pas. Mais moi, je me
dis que j’ai des amis très chers de qui je reçois plein de messages
affectueux qui me prouvent que mon existence est largement justifiée. Mais au
mendiant sur le bord du trottoir, je ne fais même pas l’aumône d’un regard.
Qu’il demande ça aux autres miséreux de son espèce !
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(1) Pour l’indemnité ça risque de ne
plus durer très longtemps
Relevons aussi au passage la remarque
d’Asimov : A l'exploitation a succédé
l'exclusion. Le chômeur est bien heureux quand quelqu’un consent à l’embaucher,
c’est-à-dire à l’exploiter
3 comments:
Vous avez besoin des autres hommes? et pourtant vous dites des choses sur les mendiants et sur le sort des chômeurs... Cher Professeur, j'ai besoin de vos lumières!
Ce que j'en pense, c'est que depuis pas mal de temps, on veut créer une image de cette société et que les plus nantis, avec un revenu sûr s'en sortent, quand est-il de l'humanisme???
Il se peut que je n'ai pas compris et j'ai relu 3X , ou que ça ne me ressemble pas ou ... (?).
Bonne soirée :-)
Fany
« vous dites des choses sur les mendiants et sur le sort des chômeurs… Qu’en est-il de l’humanisme ?»
Voilà ce que je voulais dire :
Notre dépendance à l’égard de l’ « humanité » s’arrête aux limites de notre famille, de notre voisinage ou de notre copinage. Ce sont ces gens qui nous aident à nous construire et qui nous soutiennent même sans le savoir.
Le reste est affaire de la charité qui est un élan d’amour vers l’autre qui, étant enfant de Dieu, est notre frère. Il faut pas mal de foi pour ressentir ça. On peut aussi fonctionner sur la base de nos principes moraux : alors, c’est vrai, rassurez-vous, ma conscience morale me fait des misères si je refuse à un mendiant l’aumône d’un regard.
Mais je ne veux pas cacher que (selon moi) les principes – moraux, voire même religieux – ne pèsent pas lourd dans la réalité de la vie quotidienne. On raconte que Kant chassait à coup de cannes les miséreux qui lui demandaient dans la rue une aumône, leur disant que c’était à l’Etat de les prendre en charge… Ce n’est pas un exemple certes ; mais c’est un fait.
Ce n’est donc pas une affaire de nantis : les pauvres comme les riches ont besoin des autres et pas seulement pour leur filer de la thune. Ça n’a rien à voir avec la richesse : on dit même ici ou là que les pauvres connaissent une solidarité et une communauté qui devraient faire envie aux nantis..
Voilà, chère Fanny : j’ai moi aussi relu mon Post plusieurs fois avant de le mettre en ligne. Devais-je m’y décrire de cette façon, montrer comment mes principes sont mis à mal par la réalité ? J’ai pensé que le cacher aurait été une tartufferie…
Je vous embrasse, chère Fanny
J-P
Merci Jean-Pierre pour ces précisions.
Plusieurs points me touchent particulièrement car en effet, c'est ainsi que les Hommes vivent...
Je vous embrasse :-)
Fany
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