« Préludes de la science. - Croyez-vous donc que les sciences se seraient formées et seraient devenues grandes si les magiciens, les alchimistes, les astrologues et les sorcières ne les avaient pas précédées, eux qui durent créer tout d'abord, par leurs promesses et leurs engagements trompeurs, la soif, la faim et le goût des puissances cachées et défendues ? Si l'on n'avait pas dû promettre infiniment plus qu'on ne pourra jamais tenir pour que quelque chose puisse s'accomplir dans le domaine de la connaissance ? »
Friedrich Nietzsche - Le Gai Savoir.
Si je ne lisais que la première partie de cette citation, je dirais qu’elle est fort courante à l’époque où Nietzsche l’écrit (1182-1887). Ainsi Auguste Comte pense que l’idée de théorie n’a pu naître que grâce à l’état théologique qui, en élaborant une cosmogonie et donc une vision du monde, a été nécessaire pour que naisse l’idée d’une science générale de la nature (état positif)
Mais depuis Nietzsche, la science s’est émancipée de notre attente, et voici qu’elle nous promet l’Apocalypse :
- Apocalypse nucléaire : certes l’énergie nucléaire est la réponse à une attente que ce soit celle de la victoire (Hiroshima) ou celle de la conquête de l’énergie inépuisable (maîtrise de la fusion nucléaire). Mais, même si nous laissons de côté les inévitables accidents, cette capacité à détruire ne saurait rester longtemps inemployée.
Qu’importe d’ailleurs la réalité du danger : le redouter suffit à montrer que la science nous fait trembler plus qu’elle ne nous fait rêver. (1)
- Apocalypse écologique : Non seulement la science nous a donné les moyens de transformer la nature, mais elle nous donne les moyens d’en prévoir les effets.
La science nous donne les moyens de prévoir notre avenir. Mais nous donne-t-elle les moyens d’y remédier ? Ne sommes-nous pas en présence - quoiqu’en un sens différent - de ce que nous dit Nietzsche : « promettre infiniment plus qu'on ne pourra jamais tenir », sachant que le résultat obtenu n’est pas tout à fait celui qu’on espérait ?
Quand à moi, j’observe un retournement total dans l’évaluation respective du savant et du politique (pour parler comme Weber) : au XIXème siècle, on jugeait que les bienfaiteurs de l’humanité étaient les savants (2) : eux seuls étaient capables d’assumer ce projet révolutionnaire d’une humanité soulagée des maux de sa condition. Ayant le pouvoir de la science, ils avaient toutes les clés en main.
Pourtant quand il s’est agit de prendre des décisions déterminantes on a cru pouvoir se passer d’eux, comme on se passe d’intermédiaires inutiles. Aujourd’hui, ce sont les politiques qui sont en première ligne ; c’est à eux qu’incombe la responsabilité de prendre les décisions nécessaires pour l’avenir de la nature. Certes ils ne savent pas ce qu’il convient de faire ; mais ils sont les seuls à pouvoir le faire. Le cas de Nicolas Hulot est révélateur : supposons qu’il représente le monde scientifique ; il ne brigue aucun mandat politique. Il interpelle les politiques. Voyez aussi l’écologie : doit-elle être politique ou apolitique ? (3)
(1) Dans la sélection du New York Times donné en supplément au journal le Monde de samedi 5 mars, on apprend que 2 scientifiques américains tentent de bloquer par voie de justice la mise en service prochaine de l’accélérateur de particules (Large Hadron Collider) du CERN de Genève. Motif : il risque de générer un trou noir qui engloutirait la terre, et – pourquoi pas ? – l’Univers.
(2) Emile Zola écrivait : « Les vrais révolutionnaires, ceux qui feront demain le plus de bien à l’humanité, ce sont les savants. »
(3) Qui donc se rappelle aujourd’hui qui est Nicolas Hulot ? J’exagère ? - A peine.
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