Prendre un enfant par la main
Pour l'emmener vers demain.
Prendre un enfant, chanson d’Yves Duteil, 1977 (paroles – vidéo)
Je sens que je ne vais pas me faire des amis aujourd’hui.
- Quoi ??? Citer Yves Duteil, le symbole de la ringardise, avec une chanson dégoulinante de bons sentiments, au point qu’elle a grimpé dans tous les hits parades des œuvres de charité et des associations de culs bénits ???
- Stop ! Pas de préjugés s’il vous plaît.
D’abord, si on réfléchissait à cette citation : Prendre un enfant par la main / Pour l'emmener vers demain. N’est-ce pas là l’affirmation que l’éducation a pour mission de transformer l’enfant, de le rendre capable de vivre dans le monde qui sera demain ?
Je voudrais me poser sérieusement la question : que fait-on quand on prend en charge l’éducation d’un enfant ? Je connais des hommes qui n’ont jamais voulu avoir d’enfant parce qu’au fond d’eux-mêmes, ils ne se sentaient pas capable de répondre à cette question.
Le problème, nous l’avons déjà signalé (1), c’est que nous ne savons pas de quoi demain sera fait. Vouloir transmettre à notre enfant les valeurs qui sont les nôtres c’est peut-être le condamner à vivre complètement décalé dans un monde nouveau. Mais inversement, rejeter tout ce que notre passé contient d’essentiel selon nous, n’est-ce pas fragiliser cet enfant en le rendant sensible à tous les changements de modes, comme un bouchon ballotté par le courant ?
- Hannah Arendt nous met en demeure de savoir faire la synthèse : « C'est pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l'éducation doit être conservatrice ; elle doit protéger cette nouveauté et l'introduire comme un ferment nouveau dans un monde déjà vieux » (2) Bon voilà qui est dit : éduquer, ce n’est pas emmener un enfant vers un demain que nous aurions imaginé ; pire : que nous aurions déjà engagé. C’est le mettre en état de produire ce qui sera demain. Demain sera une création, ou ne sera pas.
Donc : tous ceux qui sont froissés par la niaiserie de la chanson d’Yves Duteil devraient faire un peu moins les malins. La question n’est pas de savoir s’il faut ou non prendre un enfant par la main, mais plutôt qu’est-ce qu’on va mettre dans son cartable.
(1) Post du 15-10-2006
(2) La crise de l'éducation, in La crise de la culture, p.247
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