Lorsque les hommes sont amis, la justice n'est point nécessaire, mais quand ils sont justes, ils ont encore besoin de l'amitié.
Aristote
Une citation, deux idées : deux questions
1 – Que signifient ces deux idées ?
Lorsque les hommes sont amis, la justice n'est point nécessaire. Ça, c’est facile. Je vous laisse faire ? Non ? Comme vous voulez.
Par exemple, on peut dire que l’ami est celui qui peut pardonner une faute commise par son ami : ce qui n’a rien à voir avec la justice. Ça ne vous suffit pas ? Ajoutez alors que la justice est rétribution, ce qui suppose le décompte des avantages et des inconvénients dans les échanges. Entre amis nul ne songerait à calculer l’avantage qu’il a eu à donner de l’amitié ou à en recevoir.
Bon, passons à la deuxième idée.
Quand ils sont justes, ils [= les hommes] ont encore besoin de l'amitié. Qu’est-ce qui nous manquerait si, ayant la justice, on n’avait pas l’amitié ? Et d’abord, ayant la justice, qu’est-ce que nous avons ? (1)
Dans la perspective grecque, la justice entre les concitoyens est strictement distributive : elle est rétribution des mérites et des fautes, distribuant peines et récompenses.
Et lorsqu'elle concerne les rapports entre les peuples, elle suppose un contrat préalable. Par exemple, la déclaration de guerre n’est pas une injustice entre deux peuples qui n’ont pas conclu un pacte de non agression (2).
Dans les deux cas, l'amitié est un lien plus fort et plus durable que la justice.
Admettons donc que ceux qui ont besoin de l’amitié sont des hommes liés par un pacte commun, qu’ils soient concitoyens ou simples trekkeurs dans la même caravane.
Pour savoir en quoi l’amitié est un supplément nécessaire, passons à la deuxième question.
2 - Comment articuler l’amitié sur la justice ?
Bien entendu, la question porte sur l’asymétrie : l’amitié sans la justice, c’est possible ; la justice sans l’amitié, ça ne marche pas.
Les hommes doivent avoir pour vivre, un peu plus que la satisfaction des besoins vitaux et que l’assurance de la sécurité apportée par les lois. Il leur faut le partage de la pensée, des sentiments, la reconnaissance de leur être propre dans l’être de l’autre.
Les hommes ont besoin de tout ça parce que ce sont des êtres sociaux, et que la sociabilité (3) qui est besoin de l’autre, s’exprime à des degrés divers dans l’amitié. Parce que l’amitié, c’est la réciprocité parfaite.
(1) J'entends bien qu'Aristote parle de l'homme juste et non de "justice". Disons qu'être juste c'est avoir une disposition naturelle à pratiquer la justice, en l'occurrence donner à chacun son dû.
(2) Exemple : l’Allemagne qui envahit la Pologne, en 1939, ce n’est pas une injustice. La même qui attaque l’URSS malgré le pacte germano-soviétique, c’est une injustice.
(3) Sociabilité : entendue ici comme faculté de vivre ensemble.
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