Wednesday, April 16, 2008

Citation du 17 avril 2008

Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente / D’accord mais de mort lente.

Paroles et Musique: Georges Brassens 1972

On a beaucoup reproché à Brassens son manque d’héroïsme : comment un anarchiste comme lui peut-il avoir si peu de panache ?

Lisons sa chanson : 6 couplets = 6 arguments.

1. Ce sont des fanatiques qui prêchent de mourir pour des idées.

2. Qui donc se rappellera demain des idées pour lesquelles on meurt aujourd’hui ?

3. Ceux qui prêchent le sacrifice vivent en général très vieux.

4. A supposer qu’il faille mourir pour des idées, les quelles choisir ?

5. Aucun progrès de l’humanité nr vient récompenser un tel sacrifie

6. Laissez nous la vie, c’est notre seul luxe.

Le seul problème, c’est qu’on trouvera toujours des gens qui vont soupeser le pour et le contre, et vous démontrer qu’il y a des causes plus glorieuses que d’autres (1)

En réalité, on n’a pas dit l’essentiel : est-ce que ça a même un sens de « mourir pour » ? La mort est un fait physiologique, pouvons-nous dédier ainsi ce qui échappe à notre volonté, ce qui arrivera de toute façon qu’on le veuille ou non ? N’est-ce pas un excès d’orgueil ? Vérifions.

- Pascal disait que nous sommes tous comme des condamnés à mort, attendant notre tour d’être exécutés. Et Sartre d’ironiser par là-dessus : « Oui, disait-il, nous nous efforçons de faire de cette mort un acte héroïque… et puis nous sommes emportés par la grippe espagnole ! »

- On ne meurt jamais pour une idée ; on meurt en faisant quelque chose pour une idée. Le succès des kamikazes tient au fait qu’ils n’hésitent pas à sacrifier leur vie ; mais ce sacrifice n’a de sens que s’ils tuent le plus grand nombre de gens possibles.

On me dira que je me trompe, parce que la mort assumée est aussi un message adressé aux vivants : seul le martyr peut donner de la valeur au fait de mourir pour des idées. On se rappellera que le mot « martyr » signifie à l’origine « témoin » (2) : mourir pour ses idées signifie alors montrer qu’on les place plus haut que la vie même.
Oui, mais mourir pour sa foi, c’est beau, et pourtant ça ne suffit pas, car cet acte héroïque peut très bien échouer : son résultat dépend des autres plus que de soi-même. Que serait devenue sainte Blandine si l’arène n’avait pas existé ? Et le Christ, si on l’avait étranglé en secret au fond de sa prison ? C’est dans la conscience des autres que la mort du héros martyrisé prend son sens. Et il peut très bien se faire que les autres se désintéressent de la cause pour laquelle on se sacrifie (3)

- Kant imaginait l’homme à qui un tyran dirait : « porte un faux témoignage pour perdre un innocent, sans quoi je t’assassine ». Et il considérait que subir la mort au nom des valeurs était toujours un devoir : mieux vaut mourir juste que survivre au prix d’une injustice.

Mais on ne renonce pas à la vie en choisissant de mourir sous les coups du tyran qui nous commande de trahir. On ne fait que réagir à la situation que le tyran nous fait subir. Les résistants martyrisés n’ont pas choisi de mourir pour leurs idées : ils ont choisi de ne pas trahir leurs amis. La mort s’inscrit dans le contexte de la contrainte, c’est donc bien quelque chose qui m’échappe, et non ce dont je dispose librement. Je ne suis pas libre quand je meurs, mais quand je vis.

C’est dans le cadre de cette liberté que la chanson de Brassens prend sa valeur : La vie est à peu près [notre] seul luxe ici bas

(1) Voyez Corneille : «Si mourir pour son prince est un illustre sort, / Quand on meurt pour son Dieu, quelle sera la mort ! » (Polyeucte)

(2) Martyr (mot du jour) : du grec martur (venant de martus-marturos), signifiait témoin (langue juridique), puis chez les auteurs chrétiens : « celui qui témoigne de la vérité par son sacrifice »

(3) C’est du reste l’un des arguments de la chanson de Brassens : « Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure / Pour des idées n'ayant plus cours le lendemain »

1 comment:

Anonymous said...

Et les personnes qui s'immolent pour manifester leur désaccord dans tout ça ?