Michel Tournier - Le roi des Aulnes (p.85-86)
Je relève dans ces lignes l’identification d’une expérience particulière : le « portage du corps humain » (qui d’ailleurs est un thème dominant du roman de Tournier). Si vous deviez porter un être humain, comment vous y prendriez vous ? S’il s’agit d’un enfant, la question se résout facilement : sur les épaules, comme une brebis ou comme un cavalier sur sa monture. Seulement, ici, c’est le ravisseur qui fait lui-même la monture.
Maintenant, les artistes ont plus souvent illustré ce thème avec celui de l’enlèvement. (1)
Voyez le cas de Rubens, avec l'Enlèvement des filles de Leucippe : on devine qu’il faut être deux, un pour les épaules et l’autre pour les jambes. Ce n’est pas très romantique. L’enlèvement romantique nécessite un animal : soit le taureau pour enlever Europe (le tableau du Titien); soit le beau cheval blanc du Prince charmant qui vient enlever sa belle (oui : il faut en plus un balcon et une échelle de soie). Mais peut-on encore parler de ravisseur ? Même les filles de Leucippe : elles ne résistent guère, comme si elles étaient complices de l’enlèvement.
Qu’est-ce qui se passe lorsqu’il faut emporter un corps qui résiste ? Voyez ce que nous propose Dürer avec l’enlèvement des Sabines : Dürer a bien compris qu’il s’agit de résoudre un problème physique : comment porter un corps humain qui résiste, quand on est seul. Et voici le résultat :
… il suffit de porter la Sabine comme un madrier sur l’épaule
(1) Porter un enfant = enlever un enfant. Tiphauges, l’ogre de Tournier en fait la découverte qui va le mener jusqu’aux enfers nazis…
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