Sunday, May 14, 2006

Citation du 15 mai 2006

Créon : Et ainsi, tu as osé violer ces lois ?

Antigone : C'est que Zeus ne les a point faites, ni la justice qui siége auprès des dieux souterrains. Et je n'ai pas cru que tes édits pussent l'emporter sur les lois non écrites et immuables des dieux, puisque tu n'es qu'un mortel.

Sophocle - Antigone

Antigone c’est cette femme qui se rebelle contre la loi du tyran de Thèbes, son oncle Créon, qui refuse une sépulture à son frère qui est mort en le combattant. La loi de Dieu l’emportant sur celle des hommes, Antigone obéit au commandement religieux en ensevelissant sa dépouille ; elle désobéit donc à la loi humaine, en l’occurrence celle de son oncle. La rébellion est donc un acte héroïque (qu’Antigone paiera de sa vie), et légitime parce qu’il repose sur l’existence d’un ordre (ici religieux) supérieur à la loi humaine.

Alors ça vous fait penser à quoi ? Les jeunes musulmanes voilées de nos lycées ne se sont-elles pas réclamées du Coran pour refuser de retirer leur foulard ? Leurs Imams n’ont-ils pas dit que les lois de Dieu étaient des prescriptions que personne, pas même la République laïque, ne pouvait dispenser d’observer ?

On a appelé au bon sens et à la tolérance ; après tout dit-on il faut vivre les uns avec les autres, acceptons nos différences, ce n’est pas un foulard qui va révolutionner nos rapports sociaux… En réalité il s’agit de savoir si la laïcité est simplement une attitude passive ou si c’est une conception de l’homme, issue de la philosophie des lumières, fondant la déclaration de droits de l’homme et donc à l’origine de notre société politique.

On connaît la suite, le problème paraît réglé dans les faits mais en réalité il ne l’est pas du tout parce que ce débat n’a rien donné et on n’en sortira que par une transformation soit de notre démocratie, soit de l’islam.

Si la port du foulard n’était qu’une coutume sociale et non une prescription religieuse on pourrait facilement tomber d’accord pour l’interdire comme contraire à nos coutumes, ou pour le tolérer comme insignifiant. Mais le fait qu’il y ait une telle résistance, montre qu’il y a un tout autre enjeu.

S’il y a des Antigones dans nos banlieues, qui donc sera Créon ?

2 comments:

Anonymous said...

Et si l'on considère que le port du foulard doit être interdit, non pas tant au nom du principe de laïcité, mais au nom des Droits de l'Humain (je dis "Humain" parce qu'on a trop souvent confondu l'universel avec le masculin dans l'emploi du terme "Homme")? Il semblerait que nous touchions au noeud du problème. Qui reconnaît l'universalité des Droits de l'Humain? Cette question est elle-même un triste paradoxe... Certes ici deux systèmes de valeurs s'affrontent, l'un soutenu par la certitude d'être commandé par une Transcendance, l'autre nourri par par l'humanisme... mais dans quels inébranlables fondements l'humanisme trouve-t-il sa source? Remplace-t-on si facilement Dieu par l'être humain?

Jean-Pierre Hamel said...

Ce problème est celui de la transcendance en effet. Car au nom de quoi condamnons-nous - je ne dirais pas le foulard, mais l'excision - ?
Au nom de l'humanité, des droits de l'homme ou de l'humain d'accord.
Seulement on va devoir montrer que notre idée l'Humain domine effectivement toute autre forme de la valeur. Et on se trouve non plus dans le conflit d'Antigone et de Créon, mais dans celui du relativisme culturel.
Prenons le cas de Sartre. Il dit : "En morale, il n'y a pas de transcendance parce que Dieu n'existe pas. On peut faire tous les choix qu'on veut à la seule condition qu'on le reconnaisse comme valable pour l'humanité entière, et non pas seulement pour soi seul". Très bien. "L'excision, dira le malien (?) fait partie de la condition universelle de la femme, vous devriez le faire sur la votre."
Alors ? Il reste à prendre le parti de vouloir l'humanisme (pour reprendre votre terme)fondé sur le respect de l'individu comme valeur universelle. C'est là l'objet d'une _foi_ qui nous engage à réaliser en toute circonstance ce que l'impétatif kantien nous ordonne. Cet impératif n'est-il pas un nouvel avatard de la transcendance ?
La transcendance sortie par la porte, revient-elle par la fenêtre ? Oui et non. A mon avis, sans transcendance, pas de valeur. Sinon, l'universalité est une simple croyance, au mieux une expérience vécue sans aucune garantie de réalité (voir le Beau chez Kant). Toutefois, il ne s'agitpas d'une transcendance gouvernée par une force qui nous domine, mais par notre idéal entendu comme idée réguatrice. On ne manquera pas de souligner que l'humain est une piètre consolation pour ceux qui ont supprimé Dieu.
Avons-nous besoin de consolation ?