Monday, May 29, 2006

Citation du 30 mai 2006

[Hegel] eut sans doute un ton de bénisseur irritant mais sur un portrait de lui âgé, j'imagine lire l'épuisement, l'horreur d'être au fond des choses - d'être Dieu. Hegel […] eut-il peur d'avoir accepté le mal - que le système justifie et rend nécessaire ? Ou peut-être liant la certitude d'avoir atteint le savoir absolu à l'achèvement de l'histoire s'est-il vu, dans un sens profond, devenir mort ?

Bataille - L'expérience intérieure

L’horreur d’être Dieu, c’est l’épouvante du mal accepté comme étant justifié par la création, par ce qu’a voulu Dieu comme la condition du meilleur (Leibniz). « Comment croire en Dieu après Auschwitz » demandait Elie Wiesel. Comment se croire Dieu après ça ?

Mais plus encore, cette citation de Bataille nous éprouve dans nos fibres les plus profondes par la certitude que pour l’homme, être Dieu est une expérience insupportable ; non pas seulement inaccessible, non pas illusoire. Mais cette horreur, c’est l’insupportable certitude d’être « au fond des choses », qu’il n’y a plus d’arrière monde, que tout est à plat, que tout est tel qu’on le voit, que rien d’absolument neuf ne viendra le régénérer.

En fait, l’impitoyable perspicacité de Bataille nous y conduit sans rémission : être Dieu, c’est pour l’homme l’expérience de la mort, ou si l’on préfère ( !), c’est l’expérience de la vieillesse. Le vieillard est celui qui est arrivé au bout du système, pour qui le monde est achevé, non pas qu’il ne change plus, mais parce que tous ses changements n’apportent que ce qui était prévu - c’est à dire le développement de ce que la génération précédente a mis en route ; ou bien la décadence voulue par les jeunes qui n’ont pas accepté les conditions du progrès. A moins que cette immuabilité soit liée au pessimisme de l’essence : l’homme ne changera pas, les faibles seront toujours la proie des forts, non pas pour leur survie, mais pour leur inextinguible appétit de jouissance.

Je crois que l’obstination des anciens à pronostiquer l’écroulement du monde après eux n’est pas seulement le sot orgueil de celui qui se croit irremplaçable. Mais c’est l’expérience de la mort, c'est à dire de la pétrification qui saisit tout ce qui existe dans le temps pour le transformer en éternité.

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