Wednesday, May 31, 2006

Citation du 1er juin 2006

Il n'existe que trois êtres respectables: le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer et créer.

Charles Baudelaire

Comparons cette énumération avec les trois ordres reconnus par Georges Dumézil comme étant propres à la civilisation indo-européenne : le prêtre, le chevalier et le paysan. Baudelaire ignore ce dernier, qui est un nourrisseur, et ajoute le poète qui est le créateur. Le prêtre est ici plutôt un clerc, car sa fonction n’est pas l’oraison mais le savoir ; quant au guerrier il est un tueur plutôt qu’un brave animé par l’idéal de la chevalerie.

Ces décalages montrent dans quel univers se meut la pensée de Baudelaire : celui des paroxysmes, où l’effroi de la mort accompagne les spasmes de la création ; quant au savoir il ne peut sans doute plus être la médiation entre l’homme et le monde. C’est cela qui frappe : ce qui importe ici, ce n’est pas l’énumération, ni la juxtaposition, mais l’intrication de ces éléments constitutifs d’un monde en totale mutation, puisque la naissance et la mort suffiraient presque à la définir. A opposer donc à la stabilité des ordres indo-européens.

Mais dans ce monde, « il n’existe que trois être respectables », ce qui inclut le tueur et qui exclut le monarque tout puissant. Voilà qui ajoute la touche romantique à la sèche énumération qu’on vient d’évoquer : en effet, plus de gouverneur, plus de rois, mais seulement des forces qui font surgir et disparaître comme autant de décors de théâtre les civilisations, les peuples, les sociétés. « Je suis une force qui va » dit Hernani, et on devine que pour Victor Hugo comme pour Baudelaire le bouleversement l’emporte sur l’ordre établi, que les destructions sont plus perceptibles que le surgissement de structures nouvelles.

Alors, à ce compte, que vient faire le savoir ici ? A quoi bon une science de l’ancien dans un monde nouveau ? Mais n’oublions pas qu’il s’agit du prêtre, le savoir est celui de la volonté divine, qui nous échappe et qui nous ridiculise au moment où nous croyons être les plus forts. Et cette volonté s’appelle destin.

Et ça change tout

No comments: