« Sur ce que je luy [le sauvage] demanday quel fruit il recevoit de la superiorité qu'il avoit parmy les siens (car c'estoit un Capitaine, et noz matelots le nommoient Roy) il me dit, que c'estoit, marcher le premier à la guerre… »
Montaigne, Essais I, 30 (Des cannibales)
Certains (dont Rousseau) ont ironisé sur ce bel avantage du Roi Cannibale (en réalité ce sont les Indigènes d’Amazonie de l’ethnie Tupi) qui consiste à prendre tous les risques de la guerre ; combien de nos rois, disait-on, accepteraient de le rester à ce prix ?
Pourtant le roi comme chef de guerre et guerrier intrépide est resté dans l’imagerie populaire, même chez nous, démocrates non mangeurs d’hommes : c’est Bonaparte au pont d’Arcole, s’élançant sur le pont balayé par la mitraille entraînant son armé, protégé par les plis de drapeau français.
La bonne question est alors : à quoi reconnaît-on un chef ? A ses insignes ? A ses compétences ? A son charisme ? A sa bravoure ?
Les cannibales de Montaigne nous invitent à répondre : à son invulnérabilité. Si le Roi cannibale marche le premier à la guerre, si Bonaparte brave la mitraille, c’est parce qu’ils se savent invulnérables, immortels, nous dirions aujourd’hui : insubmersibles.
Car vous voyez où je veux en venir. Nos chefs démocratiquement élus, reçoivent des citoyens leurs légitimité de chef ; mais la qualité qui les fait élire, n’est-ce pas la confiance qu’ils inspirent ? Et cette confiance n’est-elle pas liée à leur aptitude à rebondir après échecs, coups tordus, vilaines casseroles accrochées à leurs basques ?
Si c’est vrai alors il faut dire que comme ces rois sauvages, nos hommes politiques sont immortels ; seulement, ce n’est pas dans la bravoure qu’ils le prouvent, c’est par la durée de leur règne. Et pour durer, il faut marcher le dernier à la guerre.
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