« …quand bien même le chef de l’Etat, [a] violé jusqu’au contrat originaire [et qu’il a] donné licence au gouvernement de procéder de manière tout à fait violente (tyrannique), il n’en demeure pas moins qu’il n’est absolument pas permis au sujet de résister en opposant la violence à la violence. »
Kant, Sur l’expression courante : il se peut que ce soit juste en théorie, mais en pratique cela ne vaut rien (1793)
La répugnance de Kant pour la révolution est bien connue. Le pire a pour lui été atteint avec la décapitation de Louis XVI (1), car le droit ne saurait s’établir par la force et la violence de la rue ne doit pas répondre à la violence de la tyrannie. Un peuple qui se soulève pour chasser le tyran qui l’opprime peut bien soulager sa misère, mais il ne peut fonder un Etat de droit, parce que son origine serait dans le sang, et il importe peu que ce soit celui d’un monstre qui déshonore l’humanité.
Nous autres qui vivons deux siècles plus tard, nous avons la possibilité de vérifier le bien fondé de cette thèse en consultant l’histoire de l’Europe. La révolution a-t-elle fait avancer l’histoire ? Les réformes là, où elles étaient possibles, n’auraient-elles pas été suffisantes ? Et là où elles ne l’étaient pas, le maintien au pouvoir du tyran n’aurait-il pas été préférable à la révolution ?
Trop de questions tuent la réponse…mais je me réserve la dernière. Certes, il ne faut pas blasphémer contre l’histoire ; un homme tel que Hitler (ou Staline) était une menace pour l’humanité entière, et le sort des Juifs dans le IIIème Reich doit nous faire comprendre que ces crimes atteignent l’humanité qui est en chacun de nous. Toutefois, il ne faut pas oublier aussi que certains dictateurs ont été soutenu par leur peuple dès lors qu’ils lui ont permis de vivre à peu près décemment, même si la liberté d’expression n’était pas sauvegardée. Voyez par exemple Trujillo à Saint-Domingue, et bien sûr Peron en Argentine : l’histoire ne nous apprend-elle pas que ces dictateurs n’ont pas été chassés du pouvoir par un soulèvement populaire, même s’ils ont gouverné avec la force.
Le pain compte plus que la liberté. Tout le reste n’est qu’idéalisme.
(1) Actualité oblige, n’oublions pas Marie-Antoinette. Sur l’injustice de sa décapitation, voir Burke.
5 comments:
Ah, si toutes les révolutions pouvaient être celle "des oeillets"...
Mais chaque situation historique a son identité propre, son enchaînement complexe d'évenements et l'interaction plus ou moins clairvoyante de ses acteurs dicte les chemins qu'elle emprunte. Je ne justifie rien, je pense seulement que parfois, parce que telles sont les données, parce que telle est la configuration précise du moment, certains aboutissements sont peut-être inévitables. Je ne crois pas au destin, et reconnais au contraire la responsabilité des acteurs de l'Histoire. Mais peut-on parler de responsabilité quand l'action n'est pas clairvoyante?
Je pense à "La vie est ailleurs" de M. Kundera, qui aborde, entre autres, ce thème. C'est un rire prodigieux, de mépris et d'amertume, lancé à la face triste et vaine de nos quêtes et de nos fuites, de nos peurs et de nos espérances. A la vanité de l'histoire également, à la mesquinerie de ses héros aveugles, à la gigantesque et sanglante farce qui se joue, se joue de nos vies, sous le masque tragique du lyrisme et de la gloire.
"peut-on parler de responsabilité quand l'action n'est pas clairvoyante?"
--> La première responsabilité est précisément d'accéder à la clairvoyance. Je ne veux pas dire que le peuple, pris dans la situation historique doit deviner ce que l'avenir sera (et comme le dit Bergson c'est impossible parce qu'il faut d'abord l'inventer); je veux dire qu'un effort pour comprendre l'orientation qu'il prend et pour l'assumer. Pourquoi le scrutin de la présidentielle d'avril 2002 a-t-il été suivi des manifestations anti-Le-Pen et pas les 86% de voix pour J. Chirac? Parce que si le vote n’était pas clairvoyant, en revanche on savait bien ce qu’on voulait. Reste qu’effectivement il n’y a pas toujours la possibilité de revenir en arrière.
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