Saturday, May 20, 2006

Citation du 21 mai 2006

Comment des années si courtes se fabriquent-elles avec des journées si longues ?

Vladimir Jankélévitch

Petite histoire de la monotonie.

Je ne reviendrai pas sur l’ennui dont Baudelaire a si bien parlé (voir citation du 10 février). En revanche on peut évoquer ce mécanisme paradoxal qui fabrique de la brièveté avec de la longueur.

Vous êtes en vacances, les jours s’étirent paresseusement, entre le petit matin (vers 11 heures) : déjeuner sur la terrasse ensoleillée, jusqu’au pastis du soir sur la terrasse ombragée ; entre temps, farniente(1). Comme chaque fois que vous ne faites rien, l’ennui (un si délicieux ennui) fait traîner les heures, les minutes et les secondes ; vous avez même supprimé le bracelet montre, non pas comme vous le prétendez pour éviter les traces blanches sur votre beau poignet bronzé, mais pour ne pas être tenté de prendre la mesure de cette dilatation de la durée.

Je vous suppose maintenant installé depuis huit jours ; est-ce que vous n’avez pas l’impression que les jours se succèdent à une vitesse affolante ? Chaque matin ouvrant vos volets sur un soleil vertical (il est déjà 11 heures) n’avez-vous pas l’impression que le temps de sortir et la terrasse sera assez ombragée pour le pastis vespéral ? Que ce soir est déjà là, parce qu’il n’est rien de plus qu’hier soir ? (Vous me suivez ?)

On a compris ce que veut dire Jankélévitch : il ne s’agit pas seulement d’un écrasement de la perspective ; si les journées sont longues, cette longueur est liée à l’inaction qui vous laisse face à vous même c’est à dire à rien du tout (ne vous vexez pas, il ne s’agit que d’un état passager…). En revanche, chaque journée, parfaitement prévisible est comme la photocopie des journées précédentes. Au lieu de vivre huit jours, vous vivez huit fois le même jour, et donc il vous apparaît comme étant une seule journée.

Voilà. Vous savez comment faire pour que vos vacances vous paraissent un peu plus longue : changez de vie chaque jour.

Et puis, tant que vous y êtes : faites en autant le reste de l’année.


(1) Farniente : Mot ital. signifiant proprement « ne rien faire », composé de fare (faire*) et niente (néant*).(TLF)

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