« … j’en exige [= du comédien], par conséquent, de la pénétration et nulle sensibilité, l’art de tout imiter, ou, ce qui revient au même, une égale aptitude à toutes sortes de caractères et de rôles. »
Diderot - Paradoxe sur le comédien
Cette citation prend sa place au XVIIIème siècle dans un débat entre ceux qui pensent que le comédien est un spécialiste de la déclamation, et que tout son art est oratoire ; et ceux qui affirment qu’il doit vivre les sentiments qu’il joue sur la scène, par exemple éprouver de la colère lorsqu’il joue un personnage en colère. Pour Diderot, le paradoxe du comédien, est qu’il donne à vivre des sentiments qu’il ne vit pas. Il reste admis aujourd’hui qu’on distingue entre le comédien qui est un artiste capable de jouer toutes sortes de rôles donc de les composer ; et l’acteur qui joue un rôle en fonction de sa propre personnalité et de son physique. Il peut même se faire qu’il soit obligé de transformer son aspect physique (en prenant du poids par exemple) et qu’il fasse un effort de métamorphose psychologique pour entrer dans le personnage (on se rappelle les épreuves que Björk s’est imposée pour son rôle dans Dancer in the dark).
Diderot quant à lui pensait que le comédien devait être un « artiste », c’est à dire qu’il devait apporter quelque chose que la nature ne lui fournit pas. L’art est artifice, et si on devait n’être sur la scène que ce qu’on est à la ville, alors le théâtre serait limité au spectacle de la vie quotidienne. Le comédien est l’homme qui cesse d’être celui qu’il a été sur la scène dès que le rideau est tombé. Il serait même rigoureux de dire qu’il ne l’a jamais été.
On peut dire alors que plus un spectacle comporte d’art, plus les comédiens doivent composer, et moins leur réalité « naturelle » n’a d’importance. Voyez l’exemple de la Walkyrie. C’est une guerrière qu’on imagine galopant les cheveux dans le vent en poussant des cris ; on sait que les cantatrices capables de tenir le rôle sont en général fort opulentes et on imagine le percheron capable de supporter leur poids hors d’état de mener une charge héroïque. Oui, mais les cris de la Walkyrie sont les appels mélodieux que Wagner fait retentir dans son opéra : voilà qui rattrape tout.
Le mythe de l’acteur aujourd’hui vient de ce qu’on le confond avec le personnage qu’il incarne à l’écran ; héros ou traître, il est possible que l’homme qui joue ce rôle s’efface derrière ce masque pour ne jamais en ressortir. Ce malentendu a lancé bien des carrières, mais il en a brisé aussi beaucoup d’autres.
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