Monday, April 14, 2008

Citation du 15 avril 2008

Enfin Malherbe vint, et, le premier en France, / Fit sentir dans les vers une juste cadence, / D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir, / Et réduisit la muse aux règles du devoir.

Boileau - L'Art poétique (1674)

Ah !... L’art poétique ! Que ne donnerait-on pour le posséder ?

Raison pour se précipiter sur Boileau… Raison pour en tomber sur le derrière. Baudelaire, Aragon: auraient-ils trouvé grâce aux yeux de Boileau ? On en doute (surtout pour Aragon).

Et un poète gagne-t-il à réduire sa muse aux règles du devoir ? L’art poétique n’est-il donc qu’une technique ?

Même les poètes du dimanche, qui avaient soumis leur muse aux règles énoncées par Boileau, s’en sont affranchis – ne devenant pas meilleurs pour autant. Preuve que la vérité de la poésie est ailleurs.

Déjà supposons un instant que ce poème de Boileau ait été rédigé en prose : qu’est-ce que ça changerait ? Rien du tout.

Qu’est-ce que la cadence ? Le rythme des vers ? L’alexandrin n’a certes pas le même rythme que le décasyllabique. Mais n’en est-il pas de même de la prose ? N’est-ce pas justement le propre du style de l’auteur que d’imposer un rythme lié à sa pensée ? Qu’on lise quelques pages des Mémoire d’outre tombe pour s’en persuader. Disons donc que la poésie telle que l’entend Boileau impose à la pensée un rythme défini par l’Académie (1).

Enfin, le mot mis à sa juste place. Evidemment, il y a la rime. Les assonances supposent que la juste place du mot soit gouvernée par l’assonance voulue par la rime.

Alors, certes, la poésie possède plus de liberté dans la mise en ordre des mots qui lui permet de dire plus de choses grâce à ce jeu, faisant s’entrechoquer des mots que la phrase en prose isolerait complètement. Mais justement, pourquoi vouloir brider cette liberté par la rigueur de la grammaire et du bon usage ?

Autrement dit, ce qui nous étonne c’est cette volonté de codifier la bonne expression, la tournure exacte et élégante, allant jusqu’à cette législation imposée au poète. L’Académie française venait de naître.

Le mot d’ordre du poète : ni Dieu, ni Académie.

(1) Si vous n’avez pas le poème de Boileau sous les yeux, voyez cet extrait :
Par ce sage écrivain [Malherbe] la langue réparée / N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée. / Les stances avec grâce apprirent à tomber, / Et le vers sur le vers n'osa plus enjamber.

2 comments:

Anonymous said...

Peut-être pourrait-on aussi envisager ces codes comme des découvertes qui nous rapprochent du stimulus le plus propre à susciter en nous le ravissement esthétique.
Prenez par exemple les règles d'intervalles de tons en musique (tonique, tierce et quinte). Plutôt que de les aborder comme des lois rigides dont l'histoire des choses aurait conduit par des phénomènes stochastiques à leur instauration, considérons que notre satisfaction est régie par un fondement génétique qui nous "oblige" à préférer des schémas esthétiques particuliers.
Ainsi les normes mettent en lumière ces voies vers le ravissement qui dépendent de notre constitution biologique.
Pour le cas de la poésie, il n'est pas impossible que des vers bien rythmés et bien assonants se révèlent plus appropriés pour stimuler nos structures biologiques. Sinon comment expliquer que ce soit ces règles-ci qui se sont développées au fil du temps ?
De plus, malgré la contrainte - qui n'est pas non plus infranchissable, - je crois qu'un bon poète est capable de tenir son sujet.
J'aime bien me faire l'avocat du diable et j'espère avoir été assez clair.
P.S. : Je compte sur vous ce vendredi pour honorer la mémoire de ce merveilleux humoriste qu'était Pierre Desproges.

Jean-Pierre Hamel said...

« Prenez par exemple les règles d'intervalles de tons en musique (tonique, tierce et quinte).
[…] considérons que notre satisfaction est régie par un fondement génétique qui nous "oblige" à préférer des schémas esthétiques particuliers. »
- Dans ce cas il faudrait considérer que la tonalité est la musique « naturelle » c'est-à-dire celle qui est inscrite dans notre nature.
Et en effet, on perçoit les musiques atonales comme des violences faites à notre oreille, et les premiers compositeurs à l’avoir employée (c’était Wagner dans Tristan je crois, mais on me dit que Liszt aurait fait de même). L’ont sans doute fait dans cette optique.
Oui, mais comme toujours les chinois n’en ont fait qu’à leur tête. Leur musique non seulement est atonale, mais en plus elle ne tient pas compte des écarts de ton, demi-ton : elle est capable de jouer les notes « en continu » par glissando sur les cordes de l’instrument, sans que cela les choque le moins du monde. Leurs gènes sont-ils donc différents des notre à ce point ?

« Ainsi les normes mettent en lumière ces voies vers le ravissement qui dépendent de notre constitution biologique. »
- En tout état de cause, j’apprécie vraiment cette idée : que la jouissance soit toujours une affaire de constitution biologique, autrement dit que le corps soit toujours partie prenante dans le plaisir, même quand ce plaisir est celui d’écouter de la musique ou de lire de la poésie. Mais peut-être le plaisir de la musique (ou plutôt de _telle_ musique) résulte-t-il d’une éducation du corps – un dressage ? – plus que d’une réaction génétiquement programmée.

«P.S. : Je compte sur vous ce vendredi pour honorer la mémoire de ce merveilleux humoriste qu'était Pierre Desproges. »
- Merci de l’information, car je n’étais pas au courant. Je vais me pencher sur la question.