Je ne puis pardonner à Descartes : il aurait bien voulu, dans toute sa philosophie, pouvoir se passer de Dieu ; mais il n'a pu s'empêcher de lui faire donner une chiquenaude, pour mettre le monde en mouvement ; après cela, il n'a plus que faire de Dieu.
Blaise Pascal – Pensées
1 – Pascal est bien injuste avec Descartes : lui, qui prend grand soin de dire que Dieu produit le monde et moi même à chaque instant par le même acte par le quel il l’avait créé au premier jour. Car, voici ce qu’écrit justement Descartes :
[…] tout le temps de ma vie peut être divisé en une infinité de parties, chacune desquelles ne dépend en aucune façon des autres; et ainsi de ce qu'un peu auparavant j'ai été, il ne s'ensuit pas que je doive maintenant être, si ce n'est qu'en ce moment quelque cause me produise et me crée, pour ainsi dire derechef c'est-à-dire me conserve.(1)
A l’instant même où je trace ces lignes, Dieu est là, derrière moi ( ?) qui me recrée tel que j’étais au moment où j’ai commencé à les écrire.
2 – Par contre, c’est plutôt l’opinion de Buridan que brocarde Pascal :
Dieu a imprimé dans les corps célestes des impetus qui à leur tour les meuvent sans qu’il lui faille intervenir sinon sur le mode de l’influence générale qui le fait coopérateur de toute action, en sorte qu’au septième jour il a pu se reposer c'est-à-dire cesser toute action visible et remettre les unes aux autres ces actions et passions… » (2)
3 – Sauf erreur (et on voudra bien me la signaler), Pascal critique la physique de Descartes (qu’on peut bien appeler sa philosophie, mais non toute sa philosophie) : une chose est de dire comment fonctionne le monde et alors l’action de Dieu peut être omise, puisqu’il a créé les lois de la nature et qu’ordinairement, il ne fait pas de miracle (3). Une autre chose est de dire comment il se fait que le monde matériel qui n’a pu se créer soi-même peut continuer d’exister.
On pourrait dire que l’inertie n’est pas un principe ontologique, mais seulement une propriété mécanique.
(1) 3ème méditation métaphysique. On a aussi évoqué cette question il y a peu ici même.
(2) Buridan – Questions sur le livre huitième de la physique. (Non, Buridan n’a pas fait que contempler son âne crever de faim et de soif.)
(3) Ou plutôt, il s’abstient d’en faire, encore qu’il le puisse, parce que les lois du monde étant sa création, il n’a sans doute pas de raison d’aller à leur encontre.
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