Ce qui n'est pas clair n'est pas français ; ce qui n'est pas clair est encore anglais, italien, grec ou latin.
Rivarol – L'Universalité de la langue française (1783) – (1)
On va dire : « Voilà bien l’arrogance française, celle qui nous fait détester de tous les peuples et qui leur donne le désir de nous ridiculiser dès que l’occasion s’en présente. Car quelle prétention que de dire que le français est la langue de la pensée, et que toutes les autres langues sont celles des sentiments confus ? »
On sait que Diderot a écrit sa lettre sur les sourds et les muets (à ne pas confondre bien sûr avec la lettre sur les aveugles) pour intervenir sur cette thèse.
Les enfants à qui on enseigne le latin apprennent à le décoder, à replacer les mots dans un autre ordre, celui du français. L’ordre des mots en français est-il inversé par rapport au latin, ou bien les a-t-il remis dans le bon ordre ? La question est de savoir si l’ordre primordial, « naturel » de la phrase appartient au latin ou au français est déjà ancienne à l’époque du XVIIIème siècle. Il y aurait un ordre naturel, ensemble stable de relations logiques, les « vues de l’esprit » qui relient les idées. C’est un ordre abstrait et universel, dont la formulation dans chaque langue est différente, mais que l’ordre du français reproduit de très près.
En fait, Diderot comme à son habitude, montre que le problème est mal posé.
Il développe deux thèses connexes :
- D’une part le développement du langage est historique, culturel. Il se forme avec la pratique concrète des hommes, et non avec la structure logique universelle de la pensée (qui du reste n’existe probablement pas).
- D’autre part, la pensée est une notion ambiguë, qui ne doit rien à la réalité de l’âme. En tout cas, souligne Diderot, l’état de l’âme à tout moment est plus proche d’une image dont tous les éléments se donnent en même temps, que d’une phrase, ou d’un discours dont les éléments sont articulés.
… Et revoilà le thème du rapport entre la pensée et l’image.
(1) Citation complète :
« Ce qui distingue notre langue des langues anciennes et modernes, c'est l'ordre et la construction de la phrase. Cet ordre doit toujours être direct et nécessairement clair. Le français nomme d'abord le sujet du discours, ensuite le verbe qui est l'action, et enfin l'objet de cette action : voilà la logique naturelle à tous les hommes ; voilà ce qui constitue le sens commun. Or cet ordre, si favorable, si nécessaire au raisonnement, est presque toujours contraire aux sensations, qui nomment le premier l'objet qui frappe le premier. C'est pourquoi tous les peuples, abandonnant l'ordre direct, ont eu recours aux tournures plus ou moins hardies, selon que leurs sensations ou l'harmonie des mots l'exigeaient ; et l'inversion a prévalu sur la terre, parce que l'homme est plus impérieusement gouverné par les passions que par la raison.
Le français, par un privilège unique, est seul resté fidèle à l'ordre direct, comme s'il était tout raison, et on a beau par les mouvements les plus variés et toutes les ressources du style, déguiser cet ordre, il faut toujours qu'il existe ; et c'est en vain que les passions nous bouleversent et nous sollicitent de suivre l'ordre des sensations : la syntaxe française est incorruptible. C'est de là que résulte cette admirable clarté, base éternelle de notre langue. »
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