I would prefer no to.
Melville – Bartleby
Je préférerais pas … J’aimerais mieux pas…
Inutile de se torturer les méninges. Cette formule est parfaitement claire en anglais, et Gilles Deleuze en a fait une analyse parfaitement limpide – citée en postface de l’édition de poche (Folio).
Sans revenir donc sur le sens et l’effet de la formule de Bartleby en tant qu’elle subvertit le langage, et au lieu de m’intéresser à cet étrange abandon du Scribe imaginé par Melville (qui pourtant fait la trame dramatique de sa nouvelle), je préfèrerais (I would prefer) m’interroger sur le rejet qu’elle entraîne de la part des gens qui environnent Bartleby.
Car n’est-ce pas, il n’y a drame que parce que les gens ne peuvent supporter cet homme qui reste planté dans son bureau derrière son paravent sans rien faire, rien si ce n’est exister là, en dehors de tout cadre social. Ce scandale est tel que pour finir on va mettre Bartleby en prison avec les voleurs, les vagabonds et les fous. Et qu’il va y mourir d’inanition.
Il faudrait être Michel Foucault pour analyser cette panique que déclenche Bartleby, l’homme sur qui les réseaux de pouvoir qui organisent la vie quotidienne de chacun n’ont pas de prise. Car le biopouvoir commence là, dans la vie quotidienne, avec les normes qui soumettent notre existence à une série de prescription : hygiène, habillement, travail, sociabilité, etc.. Et c’est l’assujettissement à ces pouvoirs qui s’entrelacent dans la réalité sociale la plus ordinaire (car nul besoin de pouvoir institué ici) qui est mis en péril par ce refus de Bartleby de participer aux exigences de la vie quotidienne.
Ce qui est intolérable chez Bartleby, c’est que sa passivité est en fait une résistance au pouvoir, la seule qui soit efficace, plus que la révolte, plus que la violence, plus que la révolution.
Bartleby est un véritable anarchiste.
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